Après avoir exploré une galaxie lointaine, très lointaine, Rian Johnson revient à un genre plus restreint. À couteaux tirés est un thriller à énigmes lorgnant vers la comédie, avec un casting royal !
2 ans après un Star Wars Les Derniers Jedi controversé, Rian Johnson (réalisateur entre autre de Brick et Looper) s’attelle à un projet mûri depuis 10 ans. À couteaux tirés, produit via Lionsgate, est conçu comme une lettre d’amour à Agatha Christie et au genre du whodunnit. Ce dernier (on citera Dix petits nègres ou Le Crime de l’Orient-Express, ayant eu droit à une ré-adaptation en 2017) se décrit comme une enquête au milieu d’un groupe d’individus variés, dont le but est de connaître l’auteur du crime.
Grand fan du genre, Rian Johnson apporte donc sa patte caractéristique, en renversant les attentes et propose une variation malicieuse du déroulé global. Le tout part d’un canevas classique et traditionnel, celui d’un riche patriarche octogénaire retrouvé mort chez lui sans témoin. L’enquête va rapidement suspecter un meurtre et prendre un tournant inattendu, d’autant que la grande famille de la victime cohabite au sain du manoir familial.
Du Cluedo à couteaux tirés
L’arrivée de policiers et du détective privé Benoit Blanc (hommage à Hercule Poirot) laisse augurer d’un thriller d’enquête classique, mais passé la première demi-heure, Johnson déjoue littéralement nos attentes ainsi que les enjeux, en dévoilant l’identité du meurtrier. D’un Cluedo piquant où on rencontre chacun des membres hauts en couleur de la famille Thromby (de Toni Collette en roue libre à une Jamie Lee Curtis impériale en passant par un Chris Evans aux antipodes de ses rôles habituels, le casting est un sans faute), l’installation d’un jeu du chat et de la souris prend le relais.
Mais l’inventivité ne s’arrête pas là ! Tout au long des 2h c’est un grand puzzle qui s’assemble et se désassemble, introduisant d’autres enjeux et renversements narratifs surprenants jusqu’à sa conclusion. Les apparences sont trompeuses, et la vérité est malléable suivant les interlocuteurs. En multipliant les personnages, Johnson décuple donc les points de vue et les pistes d’un canevas très simple, sans jamais perdre le spectateur ou l’intérêt ludique. À couteaux tirés relève donc d’un vrai plaisir via un script malin, mariant à merveille suspense, comédie policière et même critique acide d’une Amérique de bourgeois.
À couteaux tirés détient sans doute un des meilleurs castings de l’année. Cependant, Daniel Craig (en détective déterminé à l’esprit vif) et Ana de Armas (révélation de Blade Runner 2049 et Bond Girl pour No Time to Die) volent facilement la vedette. On a rarement vu Craig s’amuser dans un rôle aussi exubérant, celui d’un détective privé dans la plus pure tradition du genre. Quand à Ana de Armas, loin de l’image de femme fatale ou sexy qu’on peut lui accorder, livre une interprétation toute en émotion contenue. De Armas est aussi vecteur de gags sur les origines de son personnage ou de la condition des immigrés en Amérique.
Si l’écriture est un gros point fort du film, À couteaux tirés ne démérite pas visuellement. Retrouvant son comparse Steve Yedlin à la photographie, le film nous abreuve de plans précis et très bien composés. Que ce soit dans l’exploitation de l’architecture du manoir familial rempli de vieilles reliques (lieu principal de l’action), d’un magasin désaffecté ou des bois alentours, À couteaux tirés est un plaisir pour les yeux. Appuyant son côté de thriller à énigmes, la BO de Nathan Johson (frère du réalisateur) se révèle très efficace, appuyant le suspense ou le burlesque à merveille.
À couteaux affutés
Si la fin globale du film prend très vite sens, À couteaux tirés vaut largement le détour pour l’ingéniosité de sa narration, sa galerie de personnages parfaitement caractérisée et son habile mélange de ton. Tantôt incisif tantôt hilarant, À couteaux tirés est une belle friandise acidulée à la fabrication absolument exemplaire.
Plus qu’un whodunnit, on a là une très bonne itération d’un genre codifié, avec cependant un Rian Johnson s’amusant autant que ses comédiens à déjouer nos attentes, pour notre plus grand bonheur ! Une très bonne pioche tout simplement.