Wim Wenders fait partie de ce cercle très restreint de réalisateurs a avoir durablement marqué le cinéma mondial. Grand abonné du Festival de Cannes – à juste titre – le cinéaste allemand revient en sélection officielle avec deux films (Anselm et Perfect Days). Le premier dont on va parler ici n’est autre qu’un documentaire sur l’immense artiste plasticien allemand, Anselm Kiefer.
Comment aborder l’œuvre protéiforme d’Anselm Kiefer ? Traversant les âges, évoluant sans cesse et interrogeant le passé sombre de l’Allemagne, sa carrière déborde de créativité. On pourrait aisément imaginer un documentaire à la narration classique entre interviews et images d’archives. Quel gâchis cela serait. Wim Wenders montre qu’il ne s’agit pas de conter banalement sa vie, mais bien de l’exprimer à travers tous les moyens possibles et imaginables offerts par les formes documentaires et cinématographiques.
Beauté plastique
Le film commence doucement par un ballet de plans raffinés présentant des sculptures de femme en robe blanche et sans tête, ou du moins avec leurs têtes remplacées par des briques ou des barbelés qui pèsent sur leurs corps. Wenders orchestre cette ouverture avec brio, nous plongeant instantanément dans l’esthétique hautement plastique du documentaire.
Néanmoins, c’est particulièrement dans l’évolution narrative et plastique de son récit qu’il trouve le ton juste pour tenter de saisir Anselm, de révéler ses convictions et ses craintes. Kiefer possède à différents moments de sa vie des ateliers de plus en plus vastes qui ressemblent fortement à l’entrepôt où est enfermé l’Arche d’alliance à la fin d’Indiana Jones, plus qu’à un atelier d’artiste. Ce gigantisme transparait visuellement dans les cadrages amples et parfaitement composés. On suit les déambulations de l’artiste dans son atelier ainsi que son travail sur ses nouvelles créations. On se sent immergé dans son univers, presque noyé parfois. Le poids de son œuvre est aussi bien dans ses thématiques que dans cette accumulation d’objets artistiques (peintures, sculptures, photographies, etc.) dans ces immenses hangars.
Utilisant une narration qui oscille entre passé et présent, reconstitution historique, reportage sur le terrain et images d’archives. Wenders distille avec parcimonie les éléments de réponse à la question : qui est Anselm Kiefer ? Tout en ayant une approche loin d’un certain académisme, il ne brise jamais l’immersion du spectateur dans son récit. En plus de l’image, c’est tout un travail sonore et musical – excellente bande-son par Leonard Küssner – qui permet à Anselm de nous emporter toujours plus loin dans la psyché du plasticien.
L’art d’une bonne 3D
La 3D. Cette technique filmique qui est arrivée si soudainement (mais pas pour la première fois) à la sortie d’Avatar en 2009 et qui a disparu tout aussi rapidement. Il est vrai qu’en tant que spectateur, on est souvent septique par rapport à la 3D. C’est un gadget, cela ne sert à rien ; cela assombrit l’image ; ce n’est pas pratique à porter… Wim Wenders avait donc la lourde tâche de montrer l’utilité de la 3D, qui plus est dans un film d’auteur, un documentaire, alors que cette pratique se cantonnait majoritairement aux blockbusters.
Dans un premier temps, on demeure suspicieux. Les plans sont beaux avec ce semblant de perspective supplémentaire, mais encore une fois une petite voix dans nos têtes ne peut que se dire que c’est anecdotique et qu’on serait tout aussi bien sans. C’est quand on s’apprête à abandonner tout espoir que Wenders frappe : la profondeur de champ se met à servir pleinement la narration, donnant aux images d’archives et aux documents une autre dimension, à l’art de Kiefer une multitude de nuances. Un monde plus perceptible et sensible s’ouvre petit à petit à nous. Le cinéaste révèle finalement que la 3D n’a pas à révolutionner notre manière de ressentir un film, mais elle doit servir à apporter un ressenti légèrement différent pour nous plonger dans un univers qui n’est pas le nôtre, dans une vision du monde qui nous est inconnue.
Au final, avec Anselm, Kiefer a trouvé en Wenders un artiste à sa hauteur pour exprimer son art à travers la création d’une œuvre en elle-même. D’une beauté sidérante, émotionnellement touchante et intellectuellement électrisante, cette plongée dans l’univers vaste et sombre du plasticien est un bel objet de cinéma.
Anselm sort en France le 18 octobre 2023 et retrouvez tous nos articles du Festival de Cannes 2023 ici.
Avis
Avec Anselm, Kiefer a trouvé en Wenders un artiste à sa hauteur pour exprimer son art à travers la création d'une œuvre en elle-même. D'une beauté sidérante, émotionnellement touchant et intellectuellement électrisant, cette plongée dans l'univers vaste et sombre du plasticien est un bel objet de cinéma.