Quand on a découvert Leto à Cannes, le précédent film du cinéaste russe Kirill Serebrennikov, ce fut un choc et à l’époque notre Palme d’or (mais qui est reparti bredouille). Il va s’en dire qu’on attendait de pied ferme sa nouvelle réalisation, La Fièvre de Petrov.
Adapté du roman d’Alexei Salnikov Les Petrov, la grippe, etc., c’est le genre d’œuvre dont il est difficile de donner un synopsis, car le délire est complet jusqu’au bout. Vous connaissez ces films où on sort de la salle en se disant « j’ai pas tout compris » mais en réalité vous vouliez dire « j’ai rien compris » ? Eh bien Petrov en fait partie. Vendeur, n’est-ce pas ?
Narration contagieuse
Serebrennikov propose un magnifique exemple de contagion par le regard. Tout dans la forme et le fond poussent le spectateur à se sentir fiévreux comme Petrov. Entre autres du fait de la chronologie plus qu’incertaine, des séquences délirantes avec des personnages imbibés ou encore du traitement de l’image qui est soit en couleur, soit en noir et blanc avec une accumulation de détails et de lumières qui donnent un aspect psychédélique au long-métrage. Visuellement il pousse l’immersion d’un cran supplémentaire en enchaînant les plans séquences virtuoses. On est dans la tête de Petrov – parfois de sa compagne – et on se sent véritablement fiévreux en train de délirer à cause de la grippe (ou du covid ?).
Dans ce voyage hallucinant et halluciné, on y rencontre des écrivains suicidaires, des reines des neiges et on s’imagine en train de faire du kung-fu sur un mauvais poète qui prend mal les critiques. Un monde de fous dysfonctionnel dans lequel on cherche refuge avec de la vodka et des médicaments périmés depuis 1970. Au regard du récit, la vie n’est pas une partie de plaisir pour Serebrennikov et il faut en payer le prix pour la vivre.
Un film à ressentir
On en arrive à l’essence même de l’œuvre : cette confusion permanente qui déstabilise, si on accepte de se laisser porter depuis le départ, se révèle sa plus grande force pour faire vivre au spectateur une expérience unique. Par la suite, on prend du plaisir à méditer sur les tenants et aboutissants de cette histoire abracadabrante. Mais en réalité, on n’en comprend toujours qu’une infime partie, ce qui donne l’envie de retomber malade en découvrant une seconde fois ce film déstabilisant mais ô combien fascinant !