La maladie de la famille M est une adaptation moderne et vibrante de la comédie dramatique de Fausto Paravidino.
Nous avons déjà rencontré cette famille M, qui tente de vivre ensemble coûte que coûte. C’était il y a quelques mois à peine, à Paris, dans une adaptation très réussie de la compagnie Nuit orange.
Ce n’est donc pas pour découvrir cette tragi-comédie que nous avons défié la fatigue des dix premiers jours de Festival en nous rendant au théâtre à 22h30. Non, pour nous donner l’élan d’énergie nécessaire il fallait au moins des talents comme ceux de Théo Askolovitch et Tigran Mekhitarian, et la promesse d’une adaptation emprunte de la modernité et du jeu criant de vérité de ces deux comédiens. C’est donc avec enthousiasme que nous sommes retournés à la rencontre de cette famille dysfonctionnelle pour découvrir l’un de nos espoirs de ce Festival OFF.
Une lente agonie familiale…
C’est le médecin de famille qui nous ouvre la porte de ses souvenirs pour nous peindre le tableau tendre et drôle de ce qu’il nomme La maladie de la famille M. Une famille ordinaire dans laquelle pas grand chose ne va sans que personne ne s’en plaigne vraiment. La vie est comme ça voilà tout, banale, avec ses drames auxquels il faut de toutes façons survivre.
La sœur aînée, Marta, porte le poids de toutes les responsabilités depuis la mort de leur mère. Elle est la seule à s’occuper de leur père sénile, dont la mémoire bat de l’aile, tandis que Maria, sa sœur, se prend les pieds dans ses histoires d’amour avec les deux amis Fulvio et Fabrizio, et que Gianni, le petit dernier, se laisse simplement vivre, traînant un tempérament entre nonchalance et provocation.
Ce personnage reste néanmoins notre préféré. Car, au milieu des non-dits, des maladresses et de l’incompréhension qui règne, il est celui qui dit avec aplomb et un brin d’insolence ce que personne n’a envie d’entendre, pour tenter de réveiller la vie endormie, brusquer les vulnérabilités et les lâchetés des uns et des, à commencer par les siennes. Au fond, il est un peu le seul espoir de cette famille. Et ses interventions sont toujours de vrais coups de poing par ce qu’il y amène de lucidité, par ce cri du cœur qu’il ne cesse de pousser.
Une distribution qui claque !
Tigran Mekhitarian est parfait dans ce rôle. Puissant, sensible, impertinent, parfois très drôle, le comédien qui joue autant avec les mots qu’avec les gestes nous touche. Aussi bien quand il est dans la retenue, d’ailleurs, que lorsque les remarques et autres sous-entendus de son personnage se changent soudain en une rage qui vient tout secouer.
À ses côtés on découvre d’autres talents. À commencer par l’épatantPascal Elso, dont l’interprétation de Luigi, le père veuf, nous bouleverse pas son intensité et sa justesse. Un personnage tellement imbuvable qu’il finit par en devenir drôle et presque attendrissant ! Marilou Aussilloux est une Marta sensible et touchante que nous avons adorée, bien que nous aurions aimé sentir un peu plus encore le poids des responsabilités qui pèse sur ses épaules de sorte que la très belle scène d’échange avec le médecin résonne avec un peu plus d’intensité encore.
Délia Espinat Dief est Maria, la sœur instable et fragile, qui laisse les décisions se prendre sans elle. Tout aussi paumés que cette famille M autour de laquelle ils gravitent pour la même raison, à savoir Maria, Fulvio et Fabrizio, sont interprétés par Thomas Rio et Théo Askolovitch avec le ton juste là encore. À l’inverse, le Docteur Cristofolini joué par Simon Roth, manque d’un peu d’assise, et sa présence effacée apparaît finalement comme assez anecdotique.
Une adaptation audacieuse
Tigran Mekhitarian est l’un de ceux qui font bouger les lignes, qui fissurent le cadre à l’intérieur duquel le théâtre se débat un peu parfois pour y laisser entrer une lumière nouvelle. Il est de ceux qui osent, explorent, inventent, ouvrent des horizons. On appelle cela de l’audace, et lorsqu’elle est portée par le talent, cela peut faire des miracles. Et Théo Askolovitch est de toute évidence guidé par la même ambition.
Nous suivons le parcours du premier puis 2021, et son adaptation urbaine brillante de Dom Juan au Théâtre du Lucernaire il y a quelques mois nous a convaincus de ne pas le perdre de vue. Et c’est d’ailleurs à cette occasion que nous avons découvert le second, dont la présence pleine de sincérité sur scène nous a au moins autant séduits que la complicité émanant de leur duo. Et si ces deux-là partagent à nouveau la scène pour notre plus grand plaisir, les rôles sont ici inversés puisque c’est Théo Askolovitch qui signe cette fois sa première mise en scène.
Ce dernier parvient à insuffler un véritable élan de vie à cette pièce, grâce à une mise en scène dynamique et parfaitement fluide. Mais aussi grâce à des choix de musiques d’abord surprenants, mais qui viennent finalement judicieusement témoigner du quotidien de cette famille et imprégner l’atmosphère de l’émotion juste. Un prolongement parfait de l’esprit sombre et mélancolique de la scénographie de Robinson Guillermet et Shehrazad Dermé.
La maladie de la famille M nous plonge dans une douce amertume
On échappe ainsi totalement à l’ennui, ce qui est plutôt réjouissant… et en même temps, on s’est demandé s’il ne serait pas judicieux d’instaurer quelques lenteurs pour nous faire ressentir au plus près la passivité dans laquelle pataugent les membres de cette famille, leur enlisement dans les non-dits et leur difficulté à renouer un lien, un contact. Certaines scènes traduisent toutefois cela très bien, comme celle où, tandis que le père propose qu’ils passent un moment tous ensemble, c’est le silence qui s’impose autour de la table et finit par les séparer.
De jeunes comédiens au parlé affranchi des conventions, qui entrent en scène sur une musique de PNL ou du rappeur Nekfeu, et dont le jeu très « vrai » apporte au texte de Fausto Paravidino une touche d’humour salvatrice… on peut ne pas aimer ce parti pris. Ça peut surprendre, troubler, déranger, comme tout ce qui est nouveau et sort de l’ordinaire, du connu, du familier et rassurant. Mais on peut adorer aussi, cette manière de s’approprier une œuvre pour en libérer l’essence même du propos et la rendre aussi intemporelle qu’universelle. Et nous, on a choisi d’adorer.
La maladie de la famille M, de Fausto Paravidino, mise en scène Théo Askolovitch, avec Pascal Elso, Marilou Aussilloux, Théo Askolovitch, Tigran Mekhitarian, Délia Espinat Dief, Thomas Rio, Simon Roth, se joue au Théâtre des Béliers Avignon, du 7 au 29 juillet, à 22h30 (relâche les dimanches).
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Avis
On est touché par cette famille dans laquelle on ne sait ni comment faire, ni comment dire, ni comment aimer. On est touché aussi par la lecture de Théo Askolovitch et l'empreinte très personnelle qu'il pose sur cette adaptation hors-normes.