En pleine mer est une fable grinçante sur la démocratie dans laquelle trois naufragés vont devoir lutter pour leur propre survie.
En pleine mer faisait partie de nos espoirs pour cette nouvelle édition du OFF, et c’est avec bonheur que nous avons ouvert ce festival aux côtés de la compagnie Le Saut du Tremplin que nous affectionnons beaucoup.
Au programme de cette toute première découverte avignonnaise, une campagne électorale pas tout à fait comme les autres – encore que ! – où il s’agit de décider… qui va manger qui ! Une fable grinçante et drôle sur l’oppression, la domination et l’asservissement, qui va vous ouvrir… ou vous couper l’appétit !
Tout est bon pour parvenir à ses… faims !
Après un naufrage en pleine mer, un Petit, un Moyen et un Gros se retrouvent sur un radeau, affamés et sans espoir. À ce stade la question n’est donc plus « que va-t-on manger ? » mais « QUI va-t-on manger ? » ! Aucun d’eux trois n’étant volontaire, un vote (à priori) démocratique s’impose pour désigner le délicieux élu ! Une véritable campagne électorale s’improvise alors.
À chacun sa méthode pour tenter de sauver sa peau du barbecue ! Ainsi, tour à tour, ils montent sur une estrade en cagettes pour « défendre leur bout d’gras » ! Et tandis que l’un joue sur la sincérité et livre ses émotions sans aucun calcul, les autres élaborent des stratégies tout en ruses, fourberies, lâchetés et autres bassesses. Si bien que le volontaire désigné va rapidement nous apparaître…
Un décor qui nous embarque !
On est d’abord captivé par la scénographie de Jade Segard et par la beauté du décor, pourtant minimaliste, mais rendu presque féérique par des bâches en plastique iridescentes qui recouvrent les murs encadrant la scène, simulant ainsi l’océan. C’est à la fois très original, ingénieux, et nous invite à ouvrir grand les portes de nos imaginaires. Des images de mer y sont quelques fois projetées et nous plongent littéralement au milieu des vagues.
Un décor féérique, donc, pour un propos qui, lui, ne l’est pas le moins du monde ! Et c’est justement ce décalage, ce contraste qui donne toute sa profondeur à la pièce. Tout comme lorsque la manipulation s’offre par moments des envolées lyriques. Car, sous les airs d’un procédé démocratique qui s’organise, la liberté, l’équité, la justice sont peu à peu englouties par une vague de totalitarisme.
Tout n’est alors plus que mensonge, discrimination et culpabilisation. Et l’on pense alors au spectacle Le prix de l’ascension, qui creuse le propos en nous proposant une plongée satirique dans les coulisses de la politique et du pouvoir. Et qui offre un complément intéressant à cette pièce.
Drôle, mais pas que
On retrouve un peu moins la dimension burlesque à laquelle nous ont notamment habitués Grégoire Roqueplo et Alexis Chevalier dans Ceci n’est pas une saucisse, ou dans Tiquetonne, aux côtés de Marguerite Kloeckner. Mais, s’il est ici plus subtil et ne constitue pas un but en soi, l’humour est toujours bien présent. Tout comme ce grain de folie qui leur est propre.
Ce texte de la littérature polonaise offre déjà de la matière par le comique de situation qu’il met en place, comme cette invraisemblable arrivée à la nage d’un facteur ! Ou encore cette excellente scène d’ouverture durant laquelle les trois hommes en costumes et aux mines patibulaires, assis sur des cagettes, sifflotent et chantonnent ensemble ‘Il était un petit navire’… en se laissant parfois aller à d’improbables effets dignes d’une chorale !
Une jolie brochette d’artistes
Et puis, c’est aussi dans leur manière d’incarner les personnages, dans leur gestuelle, leurs mimiques, la sincérité de leur jeu, que les comédiens nous embarquent à tous les coups et parviennent quoi qu’il arrive à nous faire rire. Et si nous connaissions déjà le talent d’Alexis Chevalier et Grégoire Roqueplo, c’était en revanche la première fois que nous découvrions Thibault Truffert et… pas de doute, le comédien a bien sa place dans la compagnie !
En effet, tous trois campent des personnages très différents dans leur énergie, leur tempérament, leurs intentions, mais ils parviennent à nous captiver tout autant par la qualité, la précision et la générosité de leur jeu. Lors de ses brèves incursions dans cette distribution masculine à laquelle nous avons assistée, Marguerite Kloeckner est elle aussi très convaincante. En résumé, nous ne sommes pas déçus de ce voyage en pleine mer et nous n’hésiterons pas un seul instant à voyager à naviguer avec la même compagnie !
En pleine mer, de Slawomir Mrozek, mise en scène Alexis Chevalier, avec (double distribution) Marguerite Kloeckner, Anne-Céline Pellarini & Agathe Vandame ou Alexis Chevalier, Grégoire Roqueplo & Thibault Truffert, se joue au Théâtre des Barriques, du 7 au 29 juillet, à 16h45 (relâche les mardis).
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Avis
Cette pièce finement écrite permet, par l'absurde, de rire tout en étant conscient d'une réalité humaine. La compagnie nourrit d'ailleurs un projet pédagogique à l'attention des lycées. Une distribution masculine et une distribution féminine sont proposées en alternance, offrant chacune une expérience unique.