Téléphone-moi est une enquête familiale à suspense qui traverse le siècle et explore les liens intergénérationnels.
Téléphone-moi nous a d’abord séduits par son affiche, première de notre top 10 des plus belles affiches de ce OFF. Alors évidemment, il nous fallait découvrir ce qui se dissimulait derrière ce coup de cœur visuel !
Et pour ce qui est de l’esthétisme, la pièce de Jean-Christophe Dollé tient ses promesses et sait se rendre inoubliable. Pour le reste aussi d’ailleurs. Une création dense et hypnotique qui explore à travers le temps les énigmes d’une famille construite sur les secrets et les mensonges.
Trois époques, une même histoire
La cabine téléphonique est l’objet symbolique autour duquel s’organisent les créations de la compagnie f.o.u.i.c à qui l’on doit l’une de nos plus belles découvertes théâtrales avec Je vole… et le reste je le dirai aux ombres. Véritable chef d’œuvre et coup de cœur de notre OFF 2019, nous n’avons d’ailleurs pas manqué de retourner l’applaudir lors de son passage à Paris en début d’année.
Ici, ce n’est pas une mais trois cabines téléphoniques qui occupent la scène. Un décor d’autant plus captivant que chacune d’elle correspond à l’esthétique de l’époque dans laquelle elle va nous plonger : années 40, 1981 et 1998. Un procédé génial ! L’actualité politique, sportive et musicale, de même que le contexte historique et sociétal viennent également peindre la toile de fond de ces différents temporalités.
D’un côté il y a la joie et l’espoir d’un peuple en liesse célébrant l’élection de François Mitterrand, de l’autre la foule fêtant la victoire de l’équipe de France lors de la coupe du monde de 1998. À chaque époque ses héros. D’un côté, la Marseillaise retentit pendant la guerre, de l’autre ses paroles résonnent dans un stade de foot. Ici un père à la dérive oublie une fois de trop ses enfants, là une jeune femme pleure à sa manière le manque d’une famille. Autant de manières habiles de relier les époques, les histoires, les êtres.
Au bout du téléphone, il y a votre voix…
Tour à tour, les cabines s’allument et s’animent de la tranche de vie à laquelle elles sont reliées. Chaque histoire est un petit film à elle seule, avec son humour, son suspense, ses drames. On est rapidement attendri, touché par ces personnages qui s’accommodent comme ils peuvent d’une réalité qui les malmènent, par tout ce qui est brisé en eux, par le déni dans lequel ils se blottissent.
Ainsi, dans l’une d’elles, Léonore appelle le répondeur de sa mère, en proie à un deuil impossible qu’elle fuit dans les paradis artificiels. Dans une autre, un père de famille a fait de cet espace réduit son lieu de vie et raconte une existence imaginaire à son père, à l’autre bout du fil. La troisième, enfin, nous ramène sous l’occupation allemande où la cabine devient le lieu d’une relation secrète qui sèmera les premières graines du mensonge.
… et il y a ces mots que je ne dirai pas
Et c’est peu à peu que l’on saisit ce qui se cache derrière l’apparente banalité de leurs échanges téléphoniques, les mensonges que ces êtres se font à eux-mêmes. Progressivement, des liens se tissent entre ces différents espaces-temps et le puzzle se met en place sur l’air évidemment bien choisi de la chanson « Rappelle-moi ».
Téléphone-moi nous parle de la mort, de l’absence et de la vie qui se débrouille avec ça ; des non-dits, des vérités que l’on travestit pour rendre le réel plus acceptable, pour ne pas sombrer complètement ; de l’amour qui n’a pas su se dire et qui hurle à l’intérieur ; de tout ce que l’on porte en nous des générations précédentes, de leurs choix, de leurs fuites, de leurs manques.
Il y a beaucoup d’humour et de tendresse dans chacune de ces situations malgré les drames qui frappent ces êtres égarés. L’humour, le sarcasme, l’auto-dérision comme ultimes remparts face à l’inacceptable, face au désespoir. Chacun d’eux s’accroche à ses mensonges, à ses absents comme à une bouée, et les rencontres improbables qu’ils vont faire les aideront peu à peu à échapper à la nuit, à revenir à la réalité, à la vérité. C’est en tout cas ce que l’on espère tout au long de la pièce.
Un presque coup de cœur !
Stéphane Aubry, Jean-Christophe Dollé & Clotilde Morgiève sont très justes et nous entraînent avec eux dans ces instants d’intimité. La mise en scène (et en lumières !) est quant à elle grandiose, inventive et d’une grande originalité. Elle nous plonge dans une ambiance très cinématographique qui oscille entre réalisme et surréalisme, et qu’accompagne une bande-son très présente.
Le seul petit reproche que nous pourrions faire à cette surenchère de drames et d’effets de mise en scène c’est qu’elle peut paraître étouffante à certains moments. Le texte de Téléphone-moi – déjà très riche – aurait pu s’alléger de cette séance d’hypnose sensée nous transporter dans l’inconscient familial ; où de cette pluie qui vient soudain s’abattre sur les protagonistes. Et laisser ainsi un peu plus de place à notre imaginaire, un peu plus de temps à l’émotion pour germer. Mais là, vraiment, on chipote.
Téléphone-moi, de Jean-Christophe Dollé, avec Solenn Denis, Stéphane Aubry, Jean-Christophe Dollé & Clotilde Morgiève, mise en scène Clotilde Morgiève et Jean-Christophe Dollé, se joue au 11.Avignon, du 07 au 29 juillet, à 18h10 (relâche le mardi).
Retrouvez tous nos articles consacrés au Festival Off d’Avignon ici.
Avis
Cette création qui explore le poids des blessures transgénérationnelles s'inscrit dans un un grand projet de la compagnie f.o.u.i.c autour des cabines téléphoniques. Il comprend également Allosaurus, autre pièce proposée dans le cadre de ce OFF, ainsi qu'une exposition de photos elle aussi très inspirante.