Occident est une satire hilarante et corrosive de Rémi Devos dans laquelle un couple à la dérive règle ses comptes.
Occident est une pièce troublante et assez incroyable. C’est un peu par hasard que nous sommes allés découvrir cette adaptation d’un texte de Rémi Devos que nous ne connaissions pas. Et, pour être honnêtes, si nous avions su la dureté de ce texte, nous nous serions certainement abstenus. Et nous aurions eu tort.
C’est une histoire de couple, tristement banale. Elle regarde la télé et fait du sport pendant que lui va tous les soirs au Palace retrouver « de vrais français », et aussi son ami Mohamed qui « n’est pas un arabe comme les autres » c’est pour ça. Et surtout, « il est pas comme les yougoslaves ». Puis il rentre, et ils se livrent alors à un affrontement qui semble n’avoir aucune issue… Préparez-vous, ça va secouer.
Une descente aux Enfers…
Sur une scène aux airs de ring de boxe, ce couple en perdition semble rejouer sans cesse la même scène , prisonnier d’une routine asphyxiante. Lui, revient d’une nuit passée à boire au Flandre. Ils se provoquent, ironisent, et il s’empresse d’appuyer sur la cloche qui sonne alors le début du combat. Un combat qu’ils vont se livrer à coups de mots d’une rare violence. L’homme à l’apparence respectable devient alors une bête sauvage incontrôlable.
Leur affrontement est si excessif qu’il vire systématiquement au burlesque. Et c’est d’ailleurs bien ce qui nous le rend supportable. Car ces rounds qui se succèdent ne les mènent nulle part. Ils ne font que s’y détruire chaque fois un peu plus. D’autant que seule une violence extrême semble pouvoir faire surgir l’amour en lui. Enfin, l’amour.
« – Je te quitte.
– Si tu me quittes maintenant, je te tue.
– Je reste. Je te quitterai plus tard.«
Entre chaque round, il va s’assoir en fond de scène, dos à nous, une serviette autour du cou, tel un boxeur qui se prépare à entrer sur le ring. Pourtant, à mesure que les rounds se succèdent, un semblant de communication s’installe progressivement. Et on rit alors de le voir se retenir chaque soir un peu plus longtemps de sonner le début du combat… jusqu’à inlassablement finir par craquer et se jeter sur la cloche !
Nous n’aurions jamais cru pouvoir nous laisser attraper à ce point par une pièce aussi violente dans son propos. D’ailleurs, nous avons commencé par craindre le pire devant cette pluie d’insultes qui inonde immédiatement les dialogues d’Occident. Tout ce que nous détestons, en somme, dans la vie comme sur scène. Mais ces craintes se sont évanouies à la vitesse de l’éclair, à notre plus grande surprise.
Un duo explosif
Enfin, pas si surprenant que ça lorsqu’on considère la qualité de jeu des deux comédiens. Car voilà ce qui a tout fait basculer. Un jeu un peu moyen ou tout juste bon, et nous aurions immédiatement lâché prise. Car ce texte de Rémi Devos ne ménage personne, ni ses interprètes, ni le public. Il brutalise, il cogne, il dérange, et il demande en cela une précision et une justesse dans la manière de l’aborder qui n’est clairement pas à la portée de tout le monde.
Virgile Daudet et Aurélie Cuvelier Favier sont impressionnants dans la manière dont ils habitent littéralement ces rôles difficiles. L’intensité de leur jeu et leur engagement corporel nous hypnotisent d’un bout à l’autre, et nous fait sans cesse passer du rire au trouble. Quoi que, le trouble ne s’absente jamais vraiment.
Virgile Daudet est sans aucun doute l’une de nos révélations de cette édition du Festival OFF. En effet, nous ne sommes pas prêt d’oublier ce regard complètement hagard, comme abandonné à une forme de folie, qu’il tient tout au long de la pièce. Une interprétation qui nous pousse parfois à nous sentir touchés par cette solitude profonde et cette bêtise qui l’habitent malgré les horreurs qui émanent de lui.
Une mise en scène qui joue avec les contrastes
La mise en scène de Laurent Domingos est surprenante et brillamment pensée. Dans son costume trois pièces impeccable qui donne l’illusion de l’intelligence et d’une parfaite maîtrise des choses, l’homme est en totale perte de contrôle et cerné par la bêtise. Elle, insupportablement passive face à cette violence qu’elle déplore autant qu’elle la tolère, s’enferme dans sa solitude et, entre deux rounds, reprend son cours de step dans sa robe longue des années 30 !
L’utilisation de tables à repasser – cliché ultime du symbole de la vie de couple quotidienne et routinière – comme principaux éléments de décor est ingénieux. Les extraits – réels – d’émissions qui nous parviennent par bribes donnent matière à réfléchir à la manière dont notre société contribue à fabriquer toute cette haine, cette solitude profonde et cette bêtise. Et cette lumière rouge qui vient parfois inonder le plateau renforce le brasier de violence qui les consume.
La seule question que nous nous sommes posée en sortant de ce spectacle – un peu sonnés tout de même ! – c’est : comment est-il possible que l’on ne parle pas davantage de cette pièce et de ces deux brillants comédiens ? Certes, ce texte n’est pas d’un abord facile et peut sans aucun doute cliver, selon les sensibilités. Mais, en ce qui nous concerne, parvenir à nous faire cet effet-là malgré toute la violence exprimée, c’était perdu d’avance. Et pourtant, ils l’ont fait. Et ça, ça ne peut donner lieu qu’à un coup de cœur.
Occident, de Rémi Devos, avec Aurélie Cuvelier Favier, Virgile Daudet, mise en scène Laurent Domingos, se joue du 07 au 30 juillet, à 19h au Théâtre des Corps Saints (relâche le lundi).
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Avis
Cette tragédie contemporaine nous parle des dérives d'un couple et, à travers eux, des dérives d'une civilisation en quête de sens, d'une société engluée dans le patriarcat et sombrant dans les préjugés, la peur et la haine de l'autre. Occident est une pièce assez incroyable. Nous n'avons pas aimé ce texte, mais nous avons aimé ce que ces comédiens et ce metteur en scène en ont fait.