Madame Ming raconte l’incroyable secret d’une dame pipi nommée Madame Ming et des dix enfants qu’elle n’a jamais eus.
Madame Ming est la rencontre entre un homme d’affaires travaillant en Chine et une dame pipi qu’il croise à chacun de ses déplacements, au Grand Hôtel de Yunaï. Au grès d’un de leurs échanges, elle lui révèle qu’elle a eu dix enfants et entreprend de lui conter l’histoire de chacun d’eux. Vérité ou mensonge dans un pays qui n’autorise qu’un enfant unique par foyer ?
Bon, ce n’est pas une vraie question puisque la réponse nous est donnée avant même le début de la pièce. Adapté du roman d’Eric-Emmanuel Schmitt Les dix enfants que Madame Ming n’a jamais eus, ce nouveau spectacle de Xavier Lemaire fait intelligemment se croiser plusieurs univers : le jeu théâtral, la musique et les marionnettes. Une forme qui nous a beaucoup plu, mais un fond qui est malheureusement resté en surface.
Un spectacle qui a su nous faire du charme
Madame Ming avait beaucoup d’arguments pour nous séduire et nous a séduits par quelques aspects. Notamment la mise en scène de Xavier Lemaire, simple et originale, qui fait habilement vivre la pièce autour des toilettes publiques gardées par cette dame élégante qui accueille toujours avec le sourire les vessies bien remplies.
« La Chine, c’est un secret plus qu’un pays. »
C’est toujours un plaisir de retrouver Isabelle Andréani sur scène, même si nous avions préféré son jeu – davantage en nuances – dans Là-bas de l’autre côté de l’eau, de Pierre-Olivier Scotto, dont Xavier Lemaire signait également la mise en scène. Le violon d’Elsa Moatti qui fait des clins d’œil au texte est un atout charme indéniable. Et l’idée d’intégrer des marionnettes – qui plus est avec autant d’humour – est excellente.
Benjamin Egner est quant à lui convaincant dans son costume d’homme d’affaire qui se prend d’affection pour cette dame pipi et son univers fantasmagorique. Car, à mesure qu’elle monologue sur chacun de ses dix supposés enfants, et aussi sincère paraisse-t-elle, le doute s’installe. Et il s’éternise un peu trop…
Trop didactique
Cette pièce dit beaucoup de choses… sans toujours avoir l’air de savoir pourquoi elle les dit. On a d’abord l’impression d’assister à un exposé sur la Chine dans lequel sont évoqués le système de production chinois sur lequel reposent les marques occidentales, la politique de l’enfant unique critiquée avec un peu trop d’insistance, ou encore la tyrannie Maoïste… Des propos qui semblent posés un peu aléatoirement, sans intention quelconque.
Puis on bascule, tête en avant, dans un exposé sur Confucius… On sourit à la première citation, surtout qu’on aime beaucoup ça. À la deuxième aussi ainsi qu’aux quelques-unes qui suivent bien que certaines mériteraient d’être repensées… Mais quand le texte de Madame Ming semble ne plus être qu’une interminable succession de citations, on décroche complètement.
D’une part parce que cet enchaînement frénétique ne laisse pas le temps de saisir le propos, d’y réfléchir un peu, éventuellement de l’intégrer. Ce ne sont plus que des mots pré-digérés qui défilent dans nos oreilles. Et d’autre part car cela dénature les échanges entre notre dame pipi et cet homme d’affaires. Confucius n’a-t-il d’ailleurs pas dit : trop de maximes philosophiques tue la maxime philosophique ? Eh bien s’il ne l’a pas dit il aurait peut-être du…
Une pièce qui survole l’essentiel
Finalement la pièce passe à côté du cœur de son propos pourtant fort intéressant. En effet, on aurait voulu que les vingt dernières minutes arrivent bien plus tôt. Qu’elles soient le point de départ d’une relation plus profonde entre ces deux êtres que tout oppose, qu’il se fasse en quelque sorte son complice. Ce qui irait d’ailleurs dans le sens de l’éloge qu’il fait de l’imagination, de ce qu’elle nous permet d’échapper à notre condition et à l’uniformisation.
On aurait aimé que l’auteur s’attarde plus en profondeur sur les changements intérieurs que provoquent cette rencontre et ces échanges remplis de spiritualité chez ce businessman pour qui l’amour et la famille sont un engagement dont il ne veut pas s’encombrer. Que l’on s’intéresse davantage à ce que cela vient transformer de sa vision à lui des choses et de ses choix.
Au lieu de ça, son existence, ses questionnements et les remises en question qui s’opèrent demeurent complètement anecdotiques. Elles sont survolées, si bien que la fin ne produit pas du tout l’effet escompté. Et l’on ressort de ce spectacle sans trop savoir ce qu’il a voulu nous transmettre. Nous en retiendrons toutefois de belles images et quelques rires, et nous ne citerons plus jamais Confucius.
Madame Ming, d’après le roman d’Éric-Emmanuel Schmitt, adapté et mis en scène par Xavier Lemaire, avec Isabelle Andréani, Benjamin Egner, Pascale Blaison (marionnettiste) et Elsa Moatti (violoniste), se joue du 07 au 30 juillet, à 15h30, au Théâtre Actuel (relâche le lundi).
[UPDATE 2023] Se joue actuellement au Théâtre Rive Gauche.
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Avis
La superbe mise en scène de Xavier Lemaire ne suffit malheureusement pas à mieux faire passer ce texte trop didactique et moralisateur d'Eric Emmanuel Schmitt. On passe à côté du sujet et de l'émotion.