Boule de suif nous emmène dans une salle de classe où un professeur raconte de manière inattendue la nouvelle de Maupassant.
Boule de suif est une adaptation surprenante de ce classique de la littérature du 19ème siècle. En effet, seul sur scène, un professeur donne vie à cette nouvelle devant sa salle de classe. Mais à travers l’étude approfondie de l’œuvre, un autre propos va émerger et donner à ce récit une toute autre dimension.
Vous avez certainement déjà entendu parler de la compagnie Les Moutons Noirs, et notamment de leur version burlesque et vivifiante de Titanic, qui continue d’enchanter le public d’Avignon. Séduits par leur univers artistique à part, nous nous réjouissions de découvrir cette nouvelle création qui faisait partie des espoirs de notre sélection pour cette nouvelle édition du Festival OFF. Et qui ne nous a pas déçus.
Quand le groupe se change en meute
Cette nouvelle de Maupassant raconte l’histoire sordide d’une prostituée surnommée « Boule de suif » pour ses rondeurs, embarquée dans une diligence de notables fuyant l’armée prussienne pendant la guerre de 1870. Arrêté par un officier ennemi exigeant les faveurs de Boule de suif pour les laisser poursuivre leur route, le groupe se change alors en meute féroce…

Le suif, ce n’est rien d’autre que de la graisse animale. Sympathique le surnom. Et encore s’il n’y avait que ça… L’histoire est dérangeante, dramatique. Elle révèle toute la violence dont est capable un groupe à l’égard d’un individu qui devient soudain leur bouc émissaire. Mais le 19ème siècle n’est pas si loin à bien y regarder.
Ainsi, ce cours de littérature devient l’occasion de démonter et d’expliquer cette mécanique de persécution terriblement banale que l’on retrouve aussi bien dans le cadre de l’école que du travail, d’un contexte de guerre ou de prise d’otage, mais aussi sur les réseaux sociaux… Et que l’on appelle aujourd’hui harcèlement.
Une analyse de texte ancrée dans le réel
Yannick Laubin est captivant dans le rôle de ce professeur sympathique et débordant d’enthousiasme qu’il incarne avec panache. On est bluffés par cette énergie qui ne décroît jamais, et touchés par cette sensibilité contenue qui nous parvient par petites touches. Il donne littéralement vie à ce récit et à ses nombreux personnages dont les croquis sont projetés au fur et à mesure qu’il les dessine avec talent.

Et c’est avec tout autant de talent et d’habileté qu’il tisse peu à peu des liens entre l’histoire de Maupassant et l’actualité, entre les personnages de la nouvelle et des situations bien réelles. On passe ainsi du passé au présent, de la fiction à la réalité, du rire au malaise. Ce rythme met toutefois un peu de temps à se mettre en place et quelques longueurs se font sentir dans la première moitié du récit.
On perd d’ailleurs parfois le fil au milieu de tout ces personnages, et le fond du propos tarde un peu à émerger. Mais quand il émerge et que ces liens se font plus réguliers, la pièce redouble d’intensité jusqu’à une fin redoutablement efficace qui vient attraper nos émotions.
Une approche intelligente et ludique
Des traits d’humour, un vocabulaire moderne, l’intégration de supports visuels, l’alternance entre des passages lus et d’autres joués… : cette relecture originale et intelligente d’une œuvre littéraire est bien pensée et présente un double intérêt. Celui de rendre plus attrayants et accessibles aux adolescents les ouvrages classiques par le biais du spectacle vivant, tout en les sensibilisant à des thématiques essentielles qui les concernent directement.

L’occasion aussi de quelques recadrages sur certains comportements ou termes dont on ne mesure pas toujours la portée. On y réfléchira notamment à deux fois avant d’employer l’expression « se faire violer », qui devient inaudible lorsqu’on prend conscience de la part de responsabilité de la victime sous-entendue par cette forme pronominale.
À noter aussi que cette pièce s’inscrit dans un projet global proposant un parcours artistique aux spectateurs – et notamment aux collégiens – autour d’ateliers pratiques, d’échanges avec le public et d’une exposition. Les Moutons Noirs ont décidément plus d’un talent dans leur sac !
Boule de suif, adapté de la nouvelle de Guy de Maupassant par Yannick Laubin et la compagnie Les Moutons Noirs, avec Yannick Laubin, se joue au Théâtre du Roi René, à Avignon, du 07 au 30 juillet, à 17h25 (relâche le lundi).
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Avis
La compagnie des Moutons Noirs montre là encore son talent à revisiter de manière décalée et très contemporaine les œuvres classiques. Mais dans cette nouvelle création, il n'est pas seulement question d'humour. En effet, le fond du propos se veut éducatif dans la manière dont il déconstruit la mécanique du bouc émissaire.