L’aquoiboniste est un seul en scène troublant dans lequel un homme déclaré mort quelques heures revient à la vie.
L’aquoiboniste aborde le thème de la confrontation à la disparition de l’être aimé et toutes les étapes permettant la renaissance. Librement inspiré de la nouvelle naturaliste d’Émile Zola, La Mort d’Olivier Bécaille, ce seul en scène nous confronte à nos plus profondes angoisses et à nos questionnements les plus insolubles.
Olivier Bécaille est mort, le médecin est formel. Sa femme le pleure, l’enterrement s’organise… Et puis, ce corps qui ne bouge plus, ça ressemble bien à ça : à la mort. Et pourtant, Olivier est bel et bien vivant. Terrassé par une crise d’épilepsie, il est prisonnier de son enveloppe corporelle inerte. Commence alors le parcours macabre d’un homme témoin vivant de sa propre mort et de ses conséquences… Un moment de théâtre déroutant.
Quand l’impensable se produit…
Un homme est allongé dans un lit judicieusement disposé à la verticale, ce qui non seulement facilite la visibilité pour le public, mais suscite aussi d’entrée de jeu un certain trouble. Trouble accentué par le regard figé de cet homme, Olivier, qui se tient devant nous, le corps parfaitement immobile. Personne n’est encore très sûr de ce qui se passe à ce moment précis. Ni nous, ni lui.
Il semble assailli par un flot de pensées, de celles qui précèdent interminablement le sommeil, ou le suivent parfois. C’est son discours intérieur auquel nous accédons. Il parle d’Anaïs : son amour, sa force, son bonheur. Un bonheur fait de presque rien : se réveiller, se sentir vivant, aimer. Il parle aussi de cette mélancolie qui vient teinter des moments de bonheur lorsque l’idée de la mort qui viendra inévitablement – tôt ou tard – s’immisce ; de cette crainte de s’endormir tant le sommeil ressemble à la mort si l’on y réfléchit…
« Si je fermais les yeux pour les rouvrir jamais ? Si je dormais pour toujours ? »
Et puis, la voix de la jeune femme résonne. Son inquiétude, ses cris, ses larmes aussi. Olivier les entend mais ne peut réagir, son corps refuse de répondre. Elle le croit mort, mais c’est impossible puisqu’il rêve de la vie ! Malgré son incompréhension, le calme et l’apaisement qui l’habitent tranchent avec l’état de panique dans lequel se trouve sa compagne. La vie, c’est peut-être ça le plus douloureux au fond…
Après la mort, quelle vie ?
Depuis le lit de son appartement jusqu’au tiroir frigorifique de la morgue en passant par le sac mortuaire, le parcours d’Olivier à travers ce qui ne ressemble plus tout à fait à la vie mais pas encore complètement à la mort est déstabilisant. Aborder de manière aussi frontale, réaliste et immersive le thème de sa propre mort, il fallait oser .
Aussi, quand d’infimes mouvements de son corps deviennent à nouveau possibles, qu’une sensation de douleur, de chaleur réapparaissent, puis une odeur, puis des mots… : on se sent respirer à nouveau car c’est la vie qui refait alors surface. Ce combat contre l’éternité enfin gagné, son désir est désormais de retrouver sa femme. Enfin… Essayer de ne pas lui en vouloir trop d’avoir renoncé à lui déjà, à sa vie ; commencer par abandonner cette colère qu’elle ne mérite pas…
Mais comment recommencer à vivre après avoir été déclaré mort ? Comment se faire à nouveau une place parmi les vivants à défaut de pouvoir retrouver la sienne ? Et que dire à ceux qui ont déjà fait le deuil de notre existence ? Comment répondre autre chose que « à quoi bon ? » quand on a fait l’expérience du détachement ultime ?
Un seul en scène qui nous remue sans nous secouer
Bertrand Skol réalise une admirable performance dans ce rôle qui demande beaucoup de finesse et de subtilité. Il est soutenu dans cet effort par la mise en scène sobre et efficace de Jean-Benoît Patricot, par les lumières de Johanna Legrand ainsi que par la partition musicale originale d’Olivier Mellano. Cette dernière est présente tout au long du spectacle. Peut-être trop d’ailleurs, c’est ce qui nous a un peu gênés.
En effet, la musique vient parfois tant nous bercer que l’on décroche quelques secondes avant de revenir un peu confus. À d’autres moments, on aurait préféré le silence pour élever et faire résonner les mots et les émotions de cet homme revenu d’entre les morts. Un meilleur équilibre aurait également permis de donner davantage de rythme au récit, et d’éviter de tomber dans quelque chose de finalement assez linéaire.
À bien y réfléchir, notre frustration se trouve sans doute dans le fait que nous nous attendions à être davantage secoués, dérangés en venant nous frotter à un thème si fort et inquiétant. Nous aurions voulu être plus que troublés. Nous aurions aimé ne pas deviner si tôt le dénouement pour le laisser nous surprendre, nous bouleverser.
L’aquoiboniste n’en reste pas moins une pièce surprenante, qui mérite d’être vue ne serait-ce que pour son originalité et pour la belle prestation de Bretrand Skol.
L’aquoiboniste, de Jean-Benoît Patricot, librement inspiré de la nouvelle d’Émile Zola «La Mort d’Olivier Bécaille», avec Bertrand Skol, mise en scène Jean-Benoît Patricot, se joue au Théâtre L’épiscène, à Avignon, du 07 au 30 juillet à 17h20 (relâche le lundi).
[UPDATE 2023 : se joue du 5 au 28 octobre aux Déchargeurs.]
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Avis
L'aquoiboniste est une proposition originale, tant dans le thème que la manière dont il est abordé ou encore la forme du spectacle. Que l'on soit touché ou non, séduit ou non, on n'en ressort pas indifférent. Car s'interroger sur la mort, c'est aussi et peut-être même surtout s'interroger sur la vie.