L’île est une création férocement drôle et impertinente qui nous confronte sans ménagement à notre propre absurdité.
L’île est une pièce déroutante et follement originale qu’il est assez difficile de décrire précisément pour cette raison ! C’est plutôt le genre de spectacles desquels les gens qui vous veulent du bien diront simplement : « il faut absolument aller le voir ! » Et il faudra les croire sur parole ! C’est en tous cas ce que nous avons fait, et nous y avons gagné notre deuxième coup de cœur de ce Festival !
« Vous êtes venus, et vous êtes bien. Vous êtes les bienvenus ! »
Paradisiaque, l’île ? Pas sûr !
C’est face à Nietzsche que nous nous retrouvons d’abord. Enfin, Nietzsche « au présent ». Car il n’y a que l’instant présent qui existe sur cette île perdue au beau milieu de nulle part – au sens propre – sur laquelle un groupe de personnes vit selon des codes ne ressemblant en rien à ceux de la société « classique », mais pas moins formatés pour autant. Vous ne comprenez pas tout ? Nous non plus ! Non, c’est vrai, nous n’avons pas tout compris tout de suite à ce spectacle totalement déjanté duquel jaillit une énergie folle !
Mais cela ne nous a pas empêchés de nous laisser embarquer par ces comédiens remarquables qui s’abandonnent totalement au jeu et au plaisir de jouer ensemble ; par cette mise en scène et ces décors décalés ; par ces musiques semblant sortir tout droit d’une salle d’attente ou d’une pub pour un opticien, qui viennent rajouter une bonne couche à l’absurdité de la situation. Tout est « too much », mais puisqu’il s’agit d’un parti pris assumé, ça fonctionne à merveille.
De l’audace, beaucoup d’audace !
Derrière des répliques excessivement naïves – pour ne pas dire niaises –, des propos et situations excessivement répétitifs et des personnages à la dérive devenus les caricatures d’eux-mêmes, c’est toute la réalité de notre société qui est brillamment disséquée et moquée. Car évidemment, tout cela est voulu, pensé, construit, avec beaucoup d’audace et d’intelligence.
On rit d’un bout à l’autre de ce spectacle. C’est inattendu, piquant, vif, follement barré, vivifiant ! Les tableaux se succèdent. On passe d’un brainstorming publicitaire à une réunion militante anti capitaliste dans cette boucle infernale de l’existence dont la destination sera de toute façon la même pour tout le monde : la mort. Et c’est avec une belle complicité et beaucoup de générosité que les comédiens épatants habitent la scène, se croisent, se confondent, se disloquent.
Un rire qui bouscule
Mais on sent bien qu’il y a autre chose derrière ce rire et ces situations improbables qui s’enchaînent sans temps mort ; que le propos est riche, qu’il provoque, nous confronte à nos propres contradictions, au non-sens total d’un système entier qui nous broie, contre lequel nous luttons en même temps que nous nous y asservissons bien volontiers. L’île est une critique déjantée, absurde (à moins que ce soit nos vies qui le soient ?), mais férocement engagée de la société, du monde du travail, du capitalisme.
Les personnages se parlent sans filtre, quel que soit le contexte. Ils disent absolument tout ce qui leur passe par la tête. Et si nous en rions autant, ce n’est pas tant parce que ce qu’ils disent « ne se dit pas », mais parce que ce qu’ils disent sonne vrai. Ils mettent ainsi judicieusement en exergue la manière dont les codes sociaux lissent et falsifient nos rapports, nos échanges, notre rapport à nous-mêmes, au monde ; nous formatent, jusqu’à nous ridiculiser.
Bref, une seule chose à retenir : allez-y !
L’île, écrit et mis en scène par Hector Manuel, par le Collectif Bajour, avec Leslie Bernard, Julien Derivaz, Margaux Grilleau, Matthias Jacquin, Georges Slowick, Alexandre Virapin, Adèle Zouane puis Cléa Laizé, se joue à La Manufacture, à Avignon, du 06 au 25 juillet à 11h50. Relâche les lundis.
Puis du 05 au 08 avril 2022, à Rennes ; et le 19 mai à Pleubian (22).
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