Call of the Sea, édité par Raw Fury et développé par Out of the Blue – vous entendez comme un écho, c’est normal – est un walking simulator marin et ensoleillé. S’il avait tapé dans l’œil d’un bon nombre de gens pour sa direction artistique et ses inspirations lovecraftiennes, c’est aujourd’hui pour d’autres raisons que l’on va en dire du bien.
Déjà passons sur le plus évident. Oui, Call of the Sea est souvent sublime, de ses couleurs à ses formes élégantes, le jeu est un vrai bonbon. Même techniquement, certains effets impressionnent, en tête : la pluie et les effets de lumière. Le jeu est presque plus beau sous une pluie battante que sous un soleil radieux, un constat assez inattendu.
Pression dépression
Cela dit, si on utilise un “souvent sublime” c’est aussi parce tout n’est pas toujours au beau fixe. Déjà, il y a, et c’est particulièrement visible sur le premier chapitre, beaucoup de changements d’ambiance brusques. Le jeu altère les couleurs, ajoute du vignettage, vient “filtrer” le rendu de l’image. Le souci, c’est qu’en à peine 6 secondes, on peut passer par trois bouleversements visuels. Cela marche sur le principe, comme dans The Witness, sur des zones plus larges et dans des proportions moindres. Sauf qu’ici, les nuances d’ambiance sont rarement légères, tout comme leur accompagnement post-traitement. Il aurait fallu des transitions plus douces et moins fréquentes. Encore une fois, ce reproche ne s’adresse qu’au chapitre 1, le reste du jeu ne souffrant quasiment pas de ce souci. Comme si le début de l’aventure en faisait trop pour émerveiller le joueur.
Le second souci, c’est que la direction artistique, mais aussi dans une moindre mesure, la finition technique, vont doucement décliner après le chapitre 4 – sur un jeu en comportant sept, en comptant l’expéditif épilogue. D’ailleurs, tout le jeu va péricliter passé le chapitre 4, pas dramatiquement, il garde un certain standard, mais de façon notable tout de même.
Passé un certain point, l’histoire est grandement démêlée, perdant du même coup son aspect puzzle à rapiécer. Les lieux sont plus étroits, les puzzles moins ambitieux et les enjeux presque désamorcés. Reste bien à retrouver notre mari, mais c’est bien le seul fil qui nous tient encore mollement accrochés. Même la direction artistique va elle aussi lentement s’enfoncer dans un registre fantastique peut-être plus passe-partout, paradoxalement moins intriguant que les vestiges récents de ces explorateurs malchanceux.
Deep Blue
Le jeu de Out of the Blue est sinon une belle montée en puissance jusqu’au chapitre 3, sorte d’apothéose de sa proposition, poursuivi par le néanmoins très agréable chapitre 4. Le jeu se construit finalement de façon assez surprenante. Ses chapitres sont assez ouverts et laissent le joueur picorer le narratif, apprécier les lieux, tranquillement essayer de résoudre les quelques puzzles surprenamment bien pensés.
Il y a sur ces deux premiers tiers un excellent équilibre : narration, puzzle et exploration. Un dosage bien mené où aucun des aspects ne s’éclipse, où tous cohabitent, se superposent ou se jouent tour à tour. Malgré cela, c’est bien la partie puzzle qui nous a le plus surpris.
L’utilisation astucieuse d’un calepin, prenant automatiquement des notes lors de vos inspections, est assez bien vue, fluidifiant grandement les puzzles, sans pour autant donner toutes les clés au joueur. Généralement, ces notes viennent accompagner le joueur sans le déposséder de la solution. Et s’il peut arriver qu’une note vienne devancer la compréhension propre du joueur, la chose reste assez mineure dans un jeu qui n’a, de toute façon, pas prétention à vous tenir longtemps en échec. Le calepin fluidifie plus qu’il n’automatise, dans un jeu où il a toute sa place.
C’est le plus souvent ni trop simple, ni trop dur. Mine de rien, c’est un équilibre compliqué à trouver, là où beaucoup peuvent être tantôt abscons, tantôt extraordinairement simplistes. Qu’autant de pans cohabitent sans se nuire est un vrai miracle. On est content de voir que le jeu est finalement plus qu’un long tapis rouge déroulé entre son début et sa fin.
Accessibili-quoi ?
Cela dit, au-delà de sa seconde partie en deçà, il y a aussi dans Call of the Sea des soucis persistants, soucis mineur, certes, mais persistants tout de même. Premier contact facheux, les options.
Déjà, il y a ces quelques couacs d’ergonomie. Pourquoi le bouton pour valider mes options vidéo n’est-il pas avec les autres commandes génériques, en bas à gauche ? Pourquoi à la suite des options ? C’est pas très clair tout ça. D’autant moins clair que les sliders de résolution et de FOV (Field of view, soit l’angle qui définit la largeur du cône de vision du joueur) ne semblent pas fonctionnels. Ajoutez à cela que le jeu n’a pas de feedback lorsque vous appliquez vos options et vous obtenez une bonne minute de confusion. A-t-il bien pris en compte mes modifications ?
Bref, les options sont foutraques, ne marchent pas très bien et s’accompagnent d’un manque évident d’accessibilité. Jouer à la souris déjà, est une expérience fort désagréable, flottante et peu précise, préférez la manette. Mais presque plus grave encore, l’impossibilité de mettre un fond à minima opaque derrière les sous-titres. Bonne chance pour discerner ces petites lettres blanches sur les fonds les plus lumineux, style… une plage. C’est dommage, c’est le premier environnement du titre.
Call of the script
Mais au-delà de ces accrocs d’accessibilité, il y a d’autres petits points gênants. Rien de très grave, mais notifions-les quand même. Déjà le jeu a la fâcheuse habitude – et ce n’est malheureusement pas le seul – de nous chiper la manette des mains pour nous obliger à regarder une animation bien précise. C’est désagréable au possible, dans un premier temps, inutile dans un second, et surtout, nettement moins efficace que juste nous laisser nous-mêmes regarder un évènement. C’est d’autant plus impressionnant quand quelque chose de cool arrive lorsque l’on est en contrôle, sans que l’on ne nous prive de l’usage nos jambes et des muscles de nos yeux. Au mieux, pourrait-il gentiment nous proposer de regarder en nous indiquant une touche, mais forcer le regard en plein gameplay ? C’est rarement, voire jamais une bonne idée.
Enfin, il y a aussi quelques problèmes d’ordre narratif. Le premier est assez typique lorsque le level design s’ouvre : les réactions fonctionnent de façon indépendante et ne sont donc pas impactées par l’ordre de découverte du joueur. Typiquement, vous pouvez apprendre que quelqu’un est mort via des notes et autres documents textuels, mais être surpris plus tard en trouvant sa tombe : “Jean-Michel est mort ! Mais que s’est-il passé ?”. Il s’est passé ce que je viens de lire dans des dossiers à la minute d’avant, ce que le personnage commentait pourtant sans trop s’émouvoir.
Les réactions ne sont pas conditionnées par ce que le personnage sait ou ne sait pas en fonction de comment le joueur a exploré la zone. Si le souci est mineur pour des points de détail, pour quelques découvertes clés, il peut être un poil dérangeant. Si le joueur n’a pas suivi “le bon ordre” alors la réaction de Norah – notre protagoniste – est un peu déconcertante, sauf qu’il n’existe plus de bon ordre dès lors que l’on est libre d’aborder les lieux dans l’ordre que l’on veut.
Il est bleu
Tout compte fait, Norah, bien qu’attachante, est parfois déconcertante. Déjà parce que son évolution de personnage est un poil étrange au début du troisième tiers, mais surtout parce qu’elle ne peut pas s’empêcher d’absolument tout commenter. Vous ouvrez une boîte : “Waouh la boîte s’ouvre !”. Oui, elle s’ouvre, je le vois bien qu’elle s’ouvre, j’ai des yeux.
Le moindre bout de papier est propice à une remarque. Si cela permet de rendre le jeu plus “vivant” ou de faciliter la compréhension de certains points de récit ou puzzle, il semble quand même y avoir un zeste d’excès dans le blablatage incessant de l’héroïne. On aurait aimé que la version « audio descriptive » de l’aventure soit une option désactivable. Au moins le doublage est bon, c’est déjà ça.
Si le jeu n’est donc pas dénué de défauts, loin s’en faut, handicapé d’un dernier tiers largement moins percutant, il en reste pourtant une expérience étonnement maîtrisée sur une bonne moitié de sa trame. On rouspète un peu – beaucoup ? -, mais on en sort malgré tout presque ravi. C’était agréable, offrant tout compte fait une ouverture et une découpe surprenantes. Pour tout vous dire, on l’a fini d’une traite, c’est plutôt bon signe en général.