Prélude : « Comme je ne fais pas des films souvent, les blogs c’est pour moi un truc qui est nouveau (rires). En Russie, il n’y a que des blogs. Quand j’ai été pour Mr. Nobody à Moscou, la moyenne d’âge s’élevait autour de 20 ans auprès des journalistes. Ils ne lisent pas les journaux pour éviter le mensonge et toute la jeunesse ne lit que des blogs. »
Quelle est votre rapport à la religion ? Êtes-vous croyant ?
Je ne suis pas croyant. Ceci dit je trouve que c’est très chouette pour ceux qui le sont parce que je crois que ça donne de la force. Moi, je crois au doute. Ici, je ne voulais pas faire un film sur la religion. Je voulais reprendre l’histoire de la Bible et la détourner pour raconter autre chose.
Quelles sont les origines du projet ? Est-ce que toutes les idées visuelles présentes dans le film étaient déjà dans le scénario ?
Ce qui est chouette dans le cinéma, c’est que c’est un art collectif. Ici, on a écrit l’histoire à deux avec Thomas Gunzig. Le scénario à la base, ce sont des images qu’il faut retranscrire en mots. Quand j’écris, j’essaie de faire rythmer les idées avec ces mots. La chose géniale au tournage, c’est que ce que j’ai écrit devient toujours mieux parce qu’il y a d’autres personnes qui arrivent : le chef-opérateur, les acteurs, une optique de 50mm, des rails… Tout à coup ça devient concret et chacun peut amener quelque chose que je n’aurais pas pu anticiper et qui rend le film plus complexe. Au final, le film est une symphonie avec plein de personnes qui jouent en même temps. On dit « un film de » mais c’est un film de lui et de tous les gens qui l’ont fait.
Par rapport au casting, il y a à peu près tous les grands noms du cinéma belge. Comment avez-vous fait pour réunir un tel ensemble ? Aviez-vous écrit le rôle de Dieu en pensant à Benoit Poelvoorde ?
Quand j’écris je ne pense jamais à des comédiens parce que s’ils disent non je suis calé. Quand un comédien m’a dit oui, je réécris et je lui prépare un costume sur mesure. La Belgique c’est un petit village : on se connaît bien. J’avais envie de travailler avec des amis : les techniciens, la maquilleuse… Et puis il y avait des personnes que je connaissais depuis longtemps et avec qui je n’avais jamais travaillé : Benoit je le connais depuis C’est arrivé près de chez vous. Yolande Moreau et moi avons travaillé à l’âge de 20 ans dans le théâtre pour enfants avec Didier de Neck. Je me suis dit que j’allais mélanger toutes ces natures afin que ça soit proche du bric-à-brac fabriqué par Dieu avec Bruxelles. La seule que je ne connaissais pas était Catherine Deneuve, qui a dit oui tout de suite.
Elle a dit oui tout de suite pour tourner avec un gorille ?
C’est quelqu’un qui n’a pas froid aux yeux, qui a dit oui à tout. Je l’ai vu à la télévision lors d’une marche afin de défendre le mariage pour tous. Elle pronait l’amour sans barrière de sexes et j’ai trouvé son engagement courageux. Du coup, elle correspondait bien au rôle. Sur le tournage, elle avait un sens de l’humour incroyable. Le premier jour où elle tournait la séquence d’amour avec le jeune homme, je lui ai dit : « si vous voulez, vous pouvez garder une chemisette ou quelque chose qui vous couvre ». Elle m’a répondu tout de suite : « Jaco, je ne fais pas l’amour en chemisette » (rires). Elle y va à fond et c’est une très grande comédienne.
Quelle est votre rapport à l’enfance ?
Ici, chacun des personnages à été un enfant et porte en lui l’enfant qu’il était. De temps en temps, l’enfant vient toquer : « n’oublie pas qu’on avait dit que tu n’aurais pas une vie de merde » (rires). L’enfant c’est aussi l’âge des cruautés, des grandes perceptions et des grandes douleurs. J’aime aussi à rappeler notre condition de mortel puisque les minutes qu’on a sont les choses les plus précieuses. C’était très excitant de traiter ça sous l’angle de la comédie, en imaginant qui ferait quoi si il savait le temps qui lui restait.
On alterne entre pure comédie, fantastique, romance. D’où vous vient cette volonté de mélanger les genres ?
Le fait de mélanger les genres élargit la perception. De passer de quelque chose de grave à la comédie permet d’aller plus loin. Le rire amène au sein du drame quelque chose de poétique, de décalé qui permet de sentir différemment les choses.
Avez-vous eu des réticences de la production vis-à-vis du sujet ?
Je suis mon propre producteur donc j’étais assez d’accord avec moi-même. (rires)
Comment avez-vous utilisé la voix-off ? Est-ce une manière de mieux communiquer avec le public ?
J’ai toujours beaucoup aimé travailler avec la voix-off depuis È pericoloso sporgersi, court-métrage de 82. A l’époque, la voix-off narrait quelque chose que l’on ne voyait pas et qui amenait à un décalage, à une double perception. Dans Le Tout Nouveau Testament, le parlé de la voix-off vient du travail avec Thomas Gunzig qui est un écrivain-romancier et qui est très fort pour écrire des voix-off très littéraires. Les personnages se retournent vers le spectateur et racontent leur histoire comme dans un livre, yeux dans les yeux. Du coup, les enfants ne tiennent pas un langage de leur âge et on sait que nous ne sommes plus dans le réel, chose renforcée par le décor. La frontalité et la symétrie apportent en plus quelque chose de religieux, rappelant les images pieuses.
Ici, vous revenez à un cinéma belge très singulier. Vous n’aviez pas envie, après Mr. Nobody, de prolonger l’expérience à l’international ?
Entre les deux, j’ai fait une expérience théâtrale qui s’appelait Kiss and Cry, long-métrage éphémère sur scène où on faisait avec peu de moyens. Ça m’a ouvert l’esprit sur comment un film peut être non plus dans le réalisme mais uniquement dans la narration. Je me suis dit : pour survoler Bruxelles sous la pluie, on n’aura qu’à mettre des cartons et passer au-dessus. Parfois, on croit aux choses d’autant plus qu’on sait qu’elles ne sont pas vraies. Avec la voix-off en plus, on ne sait jamais ce qui est vrai et ce qu’il ne l’est pas. On est dans le conte, dans le « ne me croyez pas, c’est juste une perception ».
Au début du cinéma avec les frères Lumière, il y avait cette philosophie du « croyez-moi, ceci est une reproduction du réel ». Avec Méliès c’était plutôt « ne me croyez pas, nous sommes dans un conte ». Et entre les deux, il y a la perception : on ne te dit pas que c’est vrai ni que ça n’est pas vrai, c’est d’abord la réalité du personnage. Le cinéma est apte à recréer ça sur le principe de la perception, avec seulement deux sens en exergue qui résonnent avec les autres. C’est ça qui est fascinant.
Le film dégage quelque chose d’optimiste. Etes-vous vous-même optimiste ?
J’ai plutôt l’impression oui. Enfin tant que je suis vivant (rires). Je sais que ça finir mal, mais je crois qu’avant la fin il y a moyen de s’amuser.
Comment avez-vous choisi les musiques intérieures aux personnages ? Pourquoi uniquement des musiques classiques ?
C’est plutôt de l’opéra, du baroque, de la chanson française des années 40. J’avais envie que la musique intérieure soit plus large que ce que l’on voit des personnages de l’extérieur. Il fallait qu’on aperçoive un petit personnage dans une petite caravane qu’on imagine aussi petite de l’intérieur. Et quand pourtant on y pénètre, la musique c’est Ô Solitude de Purcell. Et là tu te dis : de l’intérieur, ce mec est grand, ce mec est magnifique. Même si de l’extérieur il n’a l’air de rien. Tous les personnages sont des perdants magnifiques, des gens qui pensent être passer à côté de leur vie et à qui il arrive pourtant quelque chose.
En France, il y a une partie du paysage cinématographique qui est très populaire et le reste qui à du mal à se faire. Quel regard portez-vous sur le cinéma belge et sur le cinéma français ?
Des deux côtés il y a des cinéastes, avant tout. C’est ce qui fait que ça se ressemble. Ce qui manque en Belgique c’est une industrie, personne n’attend rien de nous. On fait des films qu’on a envie de faire. Ici aussi en France, il y a ces films-là mais on trouve en plus ceux qui sont tiennent davantage de l’industrie. J’ai commencé à être plus libre quand j’ai été mon propre producteur. Être à la fois à ce poste et à celui de cinéaste, ça fonctionne plutôt bien je crois parce que je sais ce dont j’ai besoin et où je peux mettre l’argent pour faire le film. Sur celui-ci au départ, je n’étais payé en rien mais j’avais le plaisir de faire le film. J’étais prêt à perdre de l’argent. Mais ça coute toujours trop cher de toute façon. J’aimerais bien faire du cinéma comme un pianiste fait de la musique.
Votre travail au théâtre n’a t-il pas influencé votre travail de cinéaste ?
C’est Sylvie Olivé qui a fait les décors de Kiss and Cry et qui s’est occupé de celui-ci. Notre travail va vers de plus en plus de simplification. On s’est rendu compte que nous n’avions pas beaucoup d’argent pour construire grand-chose. Nous sommes donc allés vers des décors naturels qu’on vidait jusqu’à ce que ce soit dépouillé et que ça soit théâtral, le vide du décor faisant écho au vide de la vie des personnages : un fauteuil, une chaise et puis rien. La manière d’éclairer aussi apporte cette théâtralité.
Quelles étaient vos influences artistiques ?
J’ai toujours l’impression qu’il n’y en a pas (rires). Il y a une citation de Tarkovski pour le verre qui bouge sur la table. Des histoires qu’on m’a racontées. (silence) C’est toujours inconscient.
Avez-vous réfléchi à votre musique intérieure ?
Non mais ça doit être du Joni Mitchell.
Comment avez-vous vécu l’accueil chaleureux de Cannes ?
C’est chouette. Il y a des années où tu n’as que la barque, une rame, la pluie battante contre toi et puis soudainement tu vois le soleil, tu ouvres la voile et ça avance tout seul. Pour moi un film c’est une bouteille à la mer que je jette comme ça et je ne sais jamais comment le public va réagir, donc c’était super. Cannes est une sorte d’amplificateur dans les deux sens : ça peut être la Corrida, la mise à mort. On peut élever des rois pour mieux leur couper la tête l’année d’après. Ce qui est bien avec la Quinzaine c’est que les films ne sont pas comparés puisqu’il n’y a pas de prix. Ça a un côté chaleureux et bienveillant. En fait, la seule récompense qu’on a, c’est de pouvoir faire les films qu’on a envie de faire.