En première partie d’une interview en deux volets de Benoît Chieux, nous vous proposons une immersion par les mots sur les origines de son film Sirocco et le Royaume des courants d’air.
Benoît Chieux investit l’imaginaire du cinéma d’animation français depuis plusieurs décennies. En 1998, il travaillait déjà auprès du Studio Folimage pour L’Enfant aux grelots. Par la suite, il participera à la réalisation de Mia et la Migou, ou encore Tante Hilda!. Mais alors que sort sur les écrans son tout premier projet personnel, nous avons eu la chance d’échanger avec lui autour de son travail.
Bonjour Benoît, votre film sortira sur les écrans le 22 décembre prochain, mais vous avez déjà eu l’occasion de le présenter à un public lors de la cérémonie d’ouverture du festival d’animation d’Annecy 2023. Comment avez-vous vécu cette première projection ? Quelles ont été les réactions du public ?
C’était incroyable de pouvoir faire l’ouverture du Festival d’Annecy, qui est le plus grand festival au monde du cinéma d’animation. Celui-ci est énormément sollicité et cette année, ils ont reçu plus de 100 longs métrages en demande, avec une sélection très dure. Faire l’ouverture d’Annecy était un honneur et très impressionnant pour moi, je ne pensais pas du tout que c’était possible. Et non seulement on a fait l’ouverture, mais on était aussi en compétition, et ça c’était un doublon assez incroyable.
L’ouverture était aussi la première projection publique, nous venions de terminer le film et il y avait un stress énorme, à la fois d’être là et de présenter le film alors que ça n’avait jamais été fait. Tout s’est bien passé et le film a été très bien reçu. C’était un moment étrange, j’étais très fier et en même temps pas vraiment disponible pour pouvoir participer à cette projection. C’est un énorme cadeau que le festival a fait au film.
Vous réalisez avec Sirocco et le Royaume des courants d’air votre tout premier long-métrage. Comment en êtes-vous venu à cette première réalisation ?
Je suis un peu obligé de nuancer puisque ce n’est pas vraiment mon premier long métrage. J’ai travaillé en tout sur trois longs métrages. Mia et le Migou, où j’étais le directeur artistique et sur lequel j’ai fait entièrement le storyboard, ce qui représente un énorme travail. Ensuite,Tante Hilda, une co-réalisation et où j’ai aussi fait la réalisation artistique et le storyboard.
Sirocco est le troisième gros projet, sauf que celui-ci est personnel. Je n’étais pas accompagné et c’est pourquoi on peut en ce sens le considérer comme mon premier long métrage.
Qu’est-ce qui vous a poussé à faire ce film ?
J’avais très envie de faire un film dans un univers fantastique, féérique. Je trouve que l’animation se prête à ça. J’ai grandi dans des univers visuels assez fous, je suis un enfant de Métal hurlant, de ce type de magazine ayant proposé des imaginaires et visuels très forts. Je voulais travailler sur un projet un peu fou, avec un monde étrange dans lequel on peut s’amuser. C’était un peu le point de départ.
Il y avait aussi ce thème du vent, de la respiration, du chant, du souffle, de l’air sous toutes ses formes. Cette façon de se poser la question : comment rendre vivant quelque chose d’invisible ? C’était le double enjeu autour du film.
En parallèle à vos projets dans le cinéma d’animation, vous êtes également enseignant. Est-ce que ces deux casquettes se nourrissent l’une et l’autre ?
C’est pour moi deux choses différentes. Là où enseigner est important, c’est que ça oblige à formuler ce qu’on veut enseigner, on est tout le temps obligé de mettre des mots sur notre façon de travailler. Ça représente un grand avantage quand on devient réalisateur puisqu’on est habitué à formuler ce que l’on veut et donc à travailler en équipe.
Après, faire des films pour enfant est quelque chose de très naturel pour moi. J’adore ce public, il est neutre, pas formaté. On peut lui faire des propositions complètement dingues et il est prêt à tout regarder. Une fois qu’on devient adulte, on devient quelque part beaucoup plus rigide et intellectuel. On peut cependant plus développer le langage cinématographique quand on s’adresse à des adultes car il est censé comprendre, un enfant non. Il faut faire attention dans la façon dont on s’adresse à lui. Par contre il y a cette ouverture, ils sont capables d’absorber tout ce qu’on leur propose et ça, c’est merveilleux.
Sirocco s’adresse aux enfants tout en portant des sujets graves et profonds, tels que le deuil et la solitude. Sirocco, le Seigneur des Tempêtes, est lui-même condamné à ne jamais pouvoir aimer. Comment avez-vous jonglé entre ces thématiques et la réalisation d’un film pour les enfants ? Est-ce important pour vous de vous adresser aux enfants au travers des thématiques finalement très adultes ?
Les thèmes abordés sur le deuil, l’impossibilité à aimer ont été apportés par Alain Gagnol, le scénariste. A l’origine, j’étais parti sur un projet plus simple : mon idée c’était vraiment de faire un film d’aventure, dans lequel on est entraîné dans un monde qui nous dépasse. On s’est rendu compte qu’il manquait des thèmes forts et que l’aventure ne suffisait pas en elle-même pour que le film soit intéressant. Alain Gagnol a proposé ces thèmes plus forts et il se trouve effectivement que ça a donné un ancrage dans une réalité qui rend le film plus intéressant.
Ce qui marche bien dans Sirocco c’est cette forme visuelle très accessible, ludique, “bonbon” – comme une spectatrice l’a dit hier -, et aborder des thèmes forts avec ce type de graphisme crée une dualité que je trouve très riche, ça ouvre un spectre très large.
Concernant la question des thèmes abordés pour les enfants, si on se pose la question on est ennuyé puisqu’il n’y a pas de thèmes dont on ne doit pas parler. Je pense qu’il est absolument important d’aborder tous les thèmes. Un enfant vit comme un adulte et est confronté à la mort, au vieillissement, … Un enfant comprend toutes ces choses, ces notions. Refuser de montrer ce monde-là est une grave erreur. Il est essentiel de proposer aux enfants des thèmes vivants dans tout le spectacle de la vie. La seule chose à laquelle il faut faire attention est le langage, on ne peut pas s’adresser à un enfant n’importe comment, il y a des choses qu’il ne peut pas comprendre.
Comme vous l’avez mentionné, vous avez coécrit Sirocco avec Alain Gagnol, qui a développé une histoire à partir de vos dessins. De quelle façon se sont rencontrés vos deux imaginaires ? Comment avez-vous travaillé ensemble ?
Alain Gagnol est intervenu dans ce film après d’autres scénaristes avec lesquels ça ne prenait pas. C’était un peu la dernière carte et c’est lui qui m’a demandé “est-ce que ça t’intéresse de travailler avec moi ?”. Moi je connais bien son travail, il vient du film noir, du polar, plutôt pour adulte au début de sa carrière et j’étais réticent à l’idée de travailler avec lui car je voulais faire un film joyeux.
Gagnol a parfaitement compris quels étaient les enjeux et en voyant mes dessins il a essayé de sortir de ses codes pour aller faire autre chose. Je pense que c’est un film qui lui a aussi ouvert certaines portes et c’est aussi ce qu’il recherchait. Il y a un équilibre entre nos deux mondes qui a bien fonctionné sur le film.
Pour terminer sur une question sur le futur, est-ce que vous pensez vous lancer dans la réalisation d’un second long-métrage ? Avez-vous déjà des idées ?
C’est un peu tôt pour en parler. Sirocco était un gros projet et je n’ai pas vraiment eu le temps de souffler depuis la sortie du film. Je pense évidemment à de nouveaux projets, j’ai déjà des choses en tête mais ça va prendre du temps. J’ai l’habitude de ne pas me répéter d’un film à l’autre et ça m’intéresse d’explorer de nouvelles pistes, notamment graphiques. Et justement ça prend du temps, on ne se réinvente pas facilement à chaque film.
Sirocco est un film dans mon parcours que je trouve achevé et je ne pense pas que je puisse aller plus loin dans cette direction là graphiquement. C’était une aventure éprouvante et difficile mais j’ai très envie de la revivre. C’est quand même une chance de pouvoir faire vivre des personnages à l’écran, de créer des émotions chez le spectateurs, c’est quand même magique.
S’il reste une petite chose à dire, c’est que le film sort le 13 décembre et qu’il faut qu’il y ait du monde. Mine de rien, il est difficile à faire et s’il ne rencontre pas son public en réaliser un second est tout de même compliqué.