Sorti discrètement chez nous en juin 2020, Emma. attire notre attention à quelques semaines des Oscars…
Le terme ‘nouveau’ utilisé dans notre titre est alors exagéré, mais on fait le pari que peu d’entre vous auront entendu parler de ce film à sa sortie et ce pour plusieurs raisons. D’abord, le film n’a pas eu le droit d’arriver sur nos écrans de cinéma et est passé directement par la case VOD à cause du coronavirus. Ensuite, même si Emma. met en scène dans son rôle principal Anya Taylor-Joy, cette dernière n’avait pas la notoriété qu’elle a acquise grâce au Jeu de la Dame (sortie sur Netflix en octobre 2020). Et bien sûr, le long-métrage aura certainement attiré plus les spectateurs ayant lu du Jane Austen que celles et ceux qui se demandent ‘c’est qui celle-là ?’
Celle-là, c’est l’une des écrivaines britanniques les plus célèbres. Née en 1775 et décédée en 1817, Jane Austen n’a jamais hésité à poser un regard critique sur ses contemporains. Ses œuvres sont donc très engagées et emplies de réalisme, mais elle n’en délaisse pas pour autant l’humour et la romance. C’est certainement ce qui explique son succès.
C’est grâce à Jane Austen que certain.e.s auront eu la chance de découvrir en 1996 le fameux Journal de Bridget Jones (adapté au cinéma en 2001). Si l’écrivaine britannique n’en est pas l’auteure, la romancière, Helen Fielding (à l’origine de la saga des Bridget Jones) a admis avoir piqué l’intrigue d’Orgueil et Préjugés (Pride & Prejudice) pour le premier roman.
Car, oui (pour celles et ceux qui ne le savaient pas encore), c’est à Jane Austen que l’on doit Orgueil et Préjugés ayant débouché en 2005 sur la très célèbre adaptation avec Keira Knightley. Si de nombreuses œuvres ont été adaptées, ré-adaptées et ré-ré-adaptées au cinéma et à la télévision, cette dernière est sans doute la plus connue.
Pour revenir à Emma., le roman éponyme de Jane Austen avait bien sûr connu d’autres adaptations avant la version de 2020 :
- 1972 : série de la BBC (Emma)
- 1996 : téléfilm (Emma)
- 1996 : film avec Gwyneth Paltrow (Emma, l’entremetteuse)
- 2009 : mini-série de la BBC (Emma)
- 2013 : web-série (Emma approved)
- 2020 : film avec Anya Taylor-Joy (Emma.)
Sans compter le film Clueless (avec Alicia Silverstone et Paul Rudd), la version moderne et adolescente sortie en 1995, que beaucoup décrivent comme la meilleure adaptation; considérée à l’époque comme l’une des meilleures comédies adolescentes jamais réalisées.
De quoi ça parle Emma. ?
Jane Austen nous conte l’histoire d’Emma Woodhouse qui n’a d’autres aspirations dans la vie que de jouer les entremetteuses. Rattrapée par son excès de confiance dans ses capacités à deviner les sentiments des autres, la jeune héroïne va apprendre de ses erreurs.
Loin des romcoms aux personnages superficiels (que l’on avoue aimer quand même), l’écrivaine britannique proposait dès 1815 une héroïne complexe, imparfaite et surtout atypique pour l’époque. Parfaitement riche et heureuse dans sa ville de province, Emma ne rêve pas d’une vie londonienne ou d’un mari. Au contraire, n’ayant ni le besoin ni le désir de se marier, cette dernière revendique son bon droit à rester célibataire pour s’occuper de la vie amoureuse de ses ami.e.s; qu’elle ne choisit d’ailleurs pas en fonction de leur statut social – bien qu’ayant pleinement conscience de la hiérarchie des classes.
A travers l’histoire d’Emma se dessinent donc des enjeux qui dépassent la simple romance. C’est toute une série de réflexions qu’offrait Jane Austen à ses contemporains. Son œuvre permettait (permet ?) notamment de repenser le mariage, la condition des femmes et la hiérarchie des classes dans une société en pleine mutation.
La version 2020 d’Autumn de Wilde vaut-elle le coup d’œil ?
Adapter des romans très denses en films n’a jamais été chose facile. D’ailleurs, la majorité des adaptations sont considérées comme inutiles car pas toujours très pertinentes. De ce point de vue, Emma. ne déroge pas à la règle car un film deux heures ne peut retranscrire fidèlement l’œuvre de Jane Austen.
On conseillerait donc à n’importe qui de découvrir l’histoire d’Emma Woodhouse à travers le roman original plutôt qu’à travers n’importe quelles adaptations visuelles (mais si vous ne voulez pas suivre nos recommandations, préparez-vous à être bombardés de noms et à vous perdre dans les personnages pendant une bonne partie du long-métrage).
Passé ce constat, rien n’empêche de trouver la version de 2020 divertissante et pertinente par certains aspects.
Tout d’abord, on ne boude pas notre plaisir de découvrir la talentueuse Anya Taylor-Joy dans un autre rôle que celui du Jeu de la Dame, qui plus est, aux côtés d’acteurs et d’actrices britanniques relativement connus en France.
On notera particulièrement les apparitions remarquées de Josh O’Connor et Bill Nighy, qui se cantonnent tous deux à reproduire d’anciens rôles pour un résultat toujours efficace (Josh O’Connor campe un personnage qui ressemble étrangement à celui du prince Charles dans The Crown et Bill Nighy rejoue les bougons-malicieux au grand-cœur dans une énième comédie britannique).
Ensuite, ce n’est pas pour rien si Emma. se retrouve nommé aux Oscars dans les catégories meilleurs costumes et meilleurs maquillages et coiffures. On est d’ailleurs déçus de ne pas voir le film nommé pour les Meilleurs décors et direction artistique. Autumn de Wilde a, en effet, fait le choix audacieux de proposer en début de long-métrage un décor très pastel, avant d’effacer petit à petit cet aspect visuel au profit de l’intrigue. Symboliquement, l’aspect très lumineux et coloré des débuts va de pair avec la candeur de l’héroïne principale qui pense naïvement pouvoir jouer les parfaites entremetteuses, avant d’apprendre que l’amour peut être plus subtil qu’il n’y parait.
En résumé : on recommande la lecture du roman de Jane Austen plutôt que le visionnage d’Emma., mais l’adaptation proposée par Autumn de Wilde a le mérite de réunir un casting britannique talentueux et d’offrir une représentation visuelle intéressante de l’œuvre littéraire originale.