Habitué des sélections cannoises, Arnaud Desplechin revient en Compétition cette année avec Frère et Sœur. Un drame familial porté par Marion Cotillard et Melvil Poupaud, jouant les rôles éponymes dans une histoire qui peine à atteindre le coche.
Après les réussis Roubaix, une lumière et Tromperie, Desplechin revisite les conflits intra-familiaux. Avec Frère et Sœur, nous sommes dans un postulat similaire à Un conte de Noël, mais en nous centraux sur Louis (Melvil Poupaud) et Alice (Marion Cotillard). Issus d’une fratrie de 3, ces derniers sont brouillés depuis 20 ans. Une haine maladive l’un envers l’autre les habite, tandis qu’un évènement fâcheux va les contraindre à se côtoyer de nouveau.
Frère et Sœur démarre de manière intense et pour le moins désarçonnante : nous découvrons que Louis a perdu son enfant unique d’une maladie. Inconsolable, l’enjeu de la séquence d’introduction sera de poser d’emblée la relation fratricide principale, alors que Louis chasse sèchement Alice du domicile, lui reprochant de ne jamais s’être soucié une seule fois de connaître son défunt neveu. Après avoir ressassé plusieurs facettes des tensions familiales (et toujours à Roubaix/Lille, fief du réalisateur), c’est ici la douleur et la haine qui seront au premier plan, et ce sans jamais expliquer les raisons initiales de cette embrouille.
Absence de réponse
Cela fait partie des paris initiaux de Desplechin, à savoir traiter cette relation hautement conflictuelle (aucun des deux partis ne peut supporter l’idée d’être dans le même lieu ni même de se croiser) sans s’intéresser à la source du problème. Un postulat audacieux et non-dénué de sens, pouvant permettre de de projeter selon chacun nos propres hypothèses. Le réalisateur précise d’ailleurs qu’il n’y a fondamentalement aucune raison valable de haïr, et qu’aucune réponse ne peut être satisfaisante. Une analyse louable, mais qui in fine cristallise le grand problème de Frère et Sœur.
Passée la mi-film, le numéro de fauve orchestré entre les 2 protagonistes tourne méchamment en circuit fermé, poussant toujours plus loin le non-dialogue, les crises outrancières ou même les gamineries puériles (Alice qui se tort au sol à la simple vue de son frère ; Louis proche de l’hystérie à l’idée de d’assister à un évènement familial important). Cette progression vers l’aridité et la crise de nerfs a beau être parfois désagréable (cette séquence où Cotillard engueule un pharmacien sans autre raison qu’une dépression), on peut se dire que le tout trouvera une justification sous forme de vraie catharsis :que nenni !
Le comble viendra malheureusement d’un dernier tiers restant terriblement en surface de la psyché de ses personnages, ainsi que d’une évacuation totale (et même consternante) de l’enjeu principal de Frère et Sœur. Une résolution bâclée, traitée en deux coups de cuillère, et condamne tout l’exercice voulu par Desplechin. Un gros coup d’épée dans l’eau donc, qui pour sûr en frustrera plus d’un. Pourtant, le film a aussi son lot d’éléments réussis malgré ce triste constat.
Quelques moments de grâce
Comme précédemment pointé, Frère et Soeur démarre de fort bonne manière, et à intervalles réguliers touche le bout de son sujet : la mise en scène plus sèche que dans ses précédents travaux épouse bien l’acting de ses deux comédiens. Si le personnage de Cotillard tombe un peu facilement dans la maniaco-dépression sur la fin, Melvil Poupaud est incandescent de charme et de douleur intériorisée.
Le reste de la distribution peut également compter sur un Patrick Timsit étonnant de contre-emploi, et Frère et Soeur aborde avec une retenue bienvenue le deuil et la mort imminente. Mais si des scènes d’acting prenantes viennent réveiller (toutes les apparitions de l’iranienne Golshifteh Farahani sont un pur délice), il faudra en contrepartie se coltiner des détours narratifs manquant cruellement de corps et de substance, comme cette pseudo-relation fabriquée avec une mendiante roumaine, ou cette représentation crétino-chic de la consommation d’opium.
Bref, si le métrage démarre de manière intrigante, et a quelques fulgurances, Frère et Soeur déçoit. Pire, il saborde complètement son propos par une résolution facile et carrément grossière (cet épilogue en Afrique semble sorti d’une publicité touristique). Un des crus les plus décevants de 2022 donc, qui pourtant bénéficie de comédiens de talent et de séquences de sensibilité dignes d’intérêt. C’est cependant bien trop peu pour ce qui s’apparente au final à un petit pétard mouillé.
Frère et Sœur est sorti au cinéma le 20 mai 2022
avis
Frère et Sœur n'est pas un mauvais film, mais avant tout une formidable occasion manquée doublée d'un film au traitement central raté. Pourtant, ce nouveau Desplechin bénéficie de quelques moments de grâce, principalement via ses acteurs (Poupaud, Cotillard, Farahani...), mais c'est bien trop peu pour banaliser des aberrances d'écriture aussi marquées. Pas terrible donc.