Zola, l’infréquentable raconte la confrontation entre le célèbre écrivain et le fils d’Alphonse Daudet, pamphlétaire nationaliste et antisémite.
Dans Zola, l’infréquentable, sur fond d’Affaire Dreyfus, nous assistons à la confrontation – véridique et peu connue – entre deux hommes que les divergences d’idéologies opposent, et pas qu’un peu.
Le 5 janvier 1895, comme à son habitude, Émile Zola dîne chez son ami Alphonse Daudet. Il y croise le fils de ce dernier, Léon, pamphlétaire et journaliste nationaliste. Ce dernier lui livre la teneur d’un article qu’il vient de publier pour Le Figaro au sujet de la dégradation du capitaine Dreyfus pour une affaire d’espionnage militaire. Zola s’indigne de ses propos antisémites. Une véritable confrontation se livre alors, en plusieurs temps, entre les deux hommes. Une pièce historique et néanmoins très contemporaine, excellente à bien des titres.
« Jusqu’où l’amitié peut-elle tolérer l’insupportable ? »
Un duel qui fait mouche
Pierre Azéma & Bruno Paviot forment un duo d’une efficacité absolument redoutable. Ils incarnent ces deux personnages antagonistes et solides dans leurs convictions respectives dans un style très différent. Ainsi, le premier joue un Zola dont le tempérament un peu placide tranche avec le côté très provocateur, cynique et mondain de Léon Daudet.
Si bien que leurs échanges – ponctués de quelques apartés qui nous permettent de nous immiscer jusque dans leurs pensées – ne manquent pas de rythme, de fougue et d’intensité. Une pointe d’humour s’y glisse même. Et l’on ne décroche pas un seul instant, tour à tour captivé, fasciné, choqué par la peinture qui s’esquisse de cette France profondément divisée de la fin du 19ème siècle.
« Choisissez mieux vos amis, mon cher, votre pensée gagnera en pertinence ».
Ainsi, en même temps que l’on apprend à connaître ces deux hommes, on découvre peu à peu leur appartenance à des classes sociales différentes, leurs positions idéologiques, mais aussi leur rapport à la littérature, ou encore à la justice. Et tandis que Léon évoque la personnalité de son père duquel il ne s’est jamais senti estimé, Zola dévoile sa double-vie amoureuse à travers des lettres qu’il écrit à sa maîtresse.
Quand la haine contamine une société
Mais rapidement, les esprits s’échauffent autour de l’affaire Dreyfus, qui s’inscrira durant douze ans comme un conflit social et politique majeur de la IIIème République, assorti d’un scandale judiciaire. Et alors, toute la verve puante de haine de Léon Daudet se répand dans des propos qui font grincer des dents. Et l’on n’aimerait pas être à la place de Bruno Paviot sur scène, brillant dans ce rôle des plus détestables !
Car si cette pièce rapporte des idées et des convictions parfois à peine entendables et néanmoins largement partagés par l’opinion publique de la France de la fin du 19ème siècle, l’antisémitisme lui, n’appartient malheureusement ni au passé ni à la fiction. Il est donc essentiel de les entendre et d’entendre le raisonnement qui les précède pour pouvoir poursuivre, l’esprit éclairé, un combat toujours d’actualité.
Zola dans l’affaire Dreyfus
La joute verbale entre ces deux hommes laisse apparaître un portrait plus ambivalent d’Émile Zola. En effet, le romancier ne peut tolérer, qu’en France, on puisse accuser un homme sans autre forme de procès que celui de sa religion. Il prend donc position dans ce qui deviendra « L’affaire Dreyfus ». Un engagement personnel dans la lutte contre l’antisémitisme et en faveur de la liberté qui s’inscrit dans la continuité de l’esprit humaniste que l’on retrouve dans son œuvre littéraire.
Pour autant, cela lui fermera les portes de l’Académie française ainsi que celles du Figaro qui suspendra ses articles, mais lui vaudra aussi de faire l’objet d’une critique virulente et d’une véritable humiliation publique. Jusqu’à la condamnation pénale et son emprisonnement qui suivront sa fameuse lettre ouverte destinée au Président de la République, Félix Faure, J’accuse !
Léon Daudet n’hésite d’ailleurs pas à reprocher au romancier – outre la médiocrité de son œuvre dont il prédit qu’elle ne survivra pas à la fin de leur siècle ! – ce qu’il qualifie d’opportunisme. En effet, il est évident pour lui que Zola, par sa prise de position dans l’affaire Dreyfus, ne cherche qu’à donner un coup d’éclat à sa carrière. À faire parler de lui, coûte que coûte.
Un propos qui traverse le temps
On reste suspendu au texte plein de finesse, d’habileté et d’intelligence de Didier Caron, qui signe également – dans un tout autre registre – la pièce Un cadeau particulier, actuellement jouée au Funambule Montmartre. Décidément habitué des huis-clos virant à la confrontation entre deux hommes – comme dans Fausse Note, où l’on retrouvait d’ailleurs déjà Pierre Azéma aux côtés de Pierre Deny – il nous offre là encore une intrigue prenante qui construit un pont entre le passé et le présent.
« L’héroïsme ne se mène pas sur une page qu’on noircit. »
En effet, à travers des dialogues incisifs et un décor simple mais efficace, ces deux hommes sont parfaitement ancrés dans leur époque et son contexte social et politique. Mais si leurs propos résonnent avec tant d’intensité, c’est parce que c’est aussi d’aujourd’hui qu’ils nous parlent. De la haine qui divise, qui aveugle, qui mène l’humain au pire ; de l’opinion manipulée, pervertie ; ou encore du rôle de la littérature, de l’Art, pour dénoncer, éduquer, défendre…
Avec cette phrase qui sonne à la fois comme une supplication et un espoir : « Désarmons nos haines et croyons en la réalisation de l’amour. »
Zola, l’infréquentable, écrit et mis en scène par Didier Caron, avec Pierre Azéma & Bruno Paviot, se joue jusqu’au 13 janvier 2023, les mercredis, jeudis et vendredis à 21h, les samedis à 20h30 et les dimanches à 16h30 au Théâtre de la Contrescarpe.
[UPDATE 2023] Se joue du 07 au 29 juillet, à 12h15, au Théâtre Barretta au Festival OFF d’Avignon.
Avis
Sans grands effets de mise en scène, cette pièce se concentre sur son propos, fort, éloquent et intemporel, ainsi que sur le jeu de ses deux excellents comédiens. On en ressort plus instruit, l'esprit affûté. Et l'on est forcé de réfléchir à la résonance de cette histoire avec aujourd'hui.