Un homme heureux avait tout d’une énième comédie lourdingue sur un sujet trop peu abordé : mais à la surprise générale, Tristan Séguéla accouche de sa première véritable réussite.
Un homme heureux est la quatrième comédie du très prolifique Tristan Séguéla. Si l’auteur de ces lignes avait volontairement omis de critiquer une seule de ses œuvres, c’est parce qu’entre 16 ans ou presque, Rattrapage et même Docteur ?, les promesses de comédies potaches, lourdingues et surtout déjà vues ne nous avaient aucunement donné envie de nous intéresser à l’œuvre du bonhomme. Chose aujourd’hui réparée avec cet homme heureux, qui a pour lui l’audace de son postulat et de son casting, réunissant tout de même les géniaux Fabrice Luchini, Catherine Frot et Philippe Katerine (entre autres).
S’attaquer au sujet très actuel (et passionnant) de la transition de genre était un pari plus que casse-gueule, surtout dans le paysage de nos chères comédies hexagonales, souvent très balisées (et bas du front) : on se souvient de l’horrible Si j’étais un homme, qui comptait tout ce qu’on pouvait trouver de pire dans ce genre de production, en cochant même la case Christian Clavier (on y reviendra). Un homme heureux en est pourtant l’exact opposé : après un début franchouillard, le film de Tristan Séguéla ne cesse d’étonner en retournant un à un les clichés pour rendre ridicule celui qui refuse la différence, en traitant avec beaucoup de respect le thème de la transition de genre.
Hommédie
Jean Leroy (Fabrice Luchini) est donc un maire très à droite en quête d’un troisième mandat. Mais lorsque sa femme Edith (Catherine Frot) lui annonce qu’elle est un homme, il croit d’abord à une plaisanterie. Et Un homme heureux, lui aussi, choisit d’abord la voie de la boutade : Tristan Séguéla compile ainsi en premier lieu tous les clichés et les blagues datées inhérentes à la situation, et Fabrice Luchini semble alors se muer en un sauveur des bonnes mœurs qui triomphera sur cette plaisanterie de mauvais goût. Mais voilà, ce serait trop vite juger Un homme heureux qui se transforme peu à peu en un portrait très touchant d’une femme qui s’assume pleinement face aux préjugés, prenant alors peu à peu le pouvoir sur un mari sombrant alors dans la caricature et le ridicule.
S’enfonçant dans le mensonge et les quiproquos au tempo impeccable et souvent hilarant, Un homme heureux paraît ainsi être la réponse idéale aux comédies récentes avec Christian Clavier. Refusant de rire contre les autres et de délivrer son message crasse d’une France bien accrochée à ses traditions mortifères, le film de Tristan Séguéla choisit la voie idéale de l’observation sans jugement (et avec beaucoup de sincérité) de la transition de genre. Du groupe de paroles, émaillé de personnages justes et attachants, à l’ami homosexuel que l’on prend le soin de cacher dans un coin, tout parait ainsi sonner cruellement juste dans cette chute des idéaux d’un personnage de comédie enfin traité à sa juste mesure. Catherine Frot est ainsi réellement bouleversante, et rappelle à quel point elle est l’une de nos meilleures actrices de comédie, quand Fabrice Luchini détonne en anti-Christian Clavier.
Surprise générale
Un homme heureux peut ainsi délivrer sa facture de comédie efficace, qui ne réinvente jamais mais se contente de restituer avec beaucoup de talent tout ce qui fait le sel de ses cultes références (on pense évidemment à Gazon maudit et Pédale Douce). Du repas dominical à la confession à l’église, en passant par la scène de beuverie locale, Tristan Séguéla réinvestit tout le décorum de la comédie populaire en dépoussiérant cependant le message. Parce que la différence n’est jamais traitée comme un problème que par ceux qui vivent dans le mensonge, Un homme heureux peut ainsi même se permettre d’être très émouvant dans une dernière partie de carnaval désenchanté qui clôt tout en émotion cette comédie aussi surprenante que cruellement attachante.
La preuve, s’il en fallait une, que de petits miracles sont toujours possibles, surtout dans le genre très calibré de la comédie, lorsque l’on prend le temps de creuser son sujet de rire avec les autres plutôt que contre les autres. Et d’oser désacraliser le français moyen, le tourner en ridicule, et d’enfin oser aborder de vrais sujets contemporains, et de s’en emparer avec respect, justesse et de parvenir à y insuffler un rire à la fois libérateur et utile, sur des préjugés qui ont encore la peau dure. Et pour Un homme heureux, de parfaitement remplir sa mission en rendant ses spectateurs aussi heureux que son nouvel homme. On espère retrouver Tristan Séguéla sur cette voie, alors qu’il devrait prochainement s’attaquer à Bernard Tapie dans la série Wonderman, prévue sur Netflix.
Un homme heureux est actuellement au cinéma.
Avis
Un homme heureux marque la première réussite, aussi inattendue que juste et sincère, de Tristan Séguéla. Prenant à rebours les attentes de comédie générique et lourdingue sur un sujet passionnant et trop peu abordé, le réalisateur démonte un à un les clichés et les blagues faciles pour se muer en un portrait attachant et sans préjugés sur la transition de genre, en ridiculisant celui qui refuse la différence.