C’est l’une des meilleures séries de 2023, il est donc temps de revenir sur The Bear, série ayant tout raflé aux Golden Globes et aux Emmy Awards, alors que sa saison 2 s’est achevée il y a déjà quelques mois. Une plongée humaine dans le milieu de la gastronomie, mais avant tout porté par d’excellents portraits de personnages authentiques !
The Bear est la toute première série de Christopher Storer, auparavant dans des writers rooms pour d’autres shows (Ramy et Dicksinson par exemple). Et pourtant, lors du visionnage des 2 saisons de sa série, on pourrait croire que l’auteur né à Chicago a tout d’un grand. Prenant pour inspiration sa ville d’origine et le restaurant Mr Beef de son ami Chris Zucchero, Storer livre ainsi la meilleure représentation à la TV de ce qu’est réellement le milieu de la gastronomie, et un touchant portrait d’individus livrant un combat intérieur avec leur propre humanité.
The Bear : ours métaphorique
The Bear nous place ainsi à Chicago, et nous présente Carmen « Carmy » Berzatto (surnommé « Bear »), le plus jeune chef ayant réussi à avoir 3 étoiles Michelin, qui revient dans sa ville natale pour gérer le restaurant familial (The Beef). En effet, le précédent propriétaire n’était autre que Mikey, son grand frère au passé d’addict. Le suicide de ce dernier résulta donc au lègue de ce restaurant à Carmy, bien décidé de transformer ce lieu où l’on commande des sandwichs italiens en référence culinaire de haut standing.
Mais pour se faire, Carmy devra gérer ses propres anxiétés héritées de sa famille dysfonctionnelle, tout en s’associant avec sa nouvelle associée ambitieuse Sydney, l’ex-meilleur ami volatile de son frère Richie, le pâtissier rêveur Marcus, le réfugié Ebra ou encore Tina, la cuisinière peu encline au changement. Et dès sa première saison, The Bear parvient à propulser avec brio le spectateur dans le rush constant derrière les fourneaux.
Série qui charme les papilles
Car si The Bear parvient à mettre en scène l’élaboration des mets de manière presque aussi kinétique que le Festin chinois de Tsui Hark, ce sont bien les individus derrière (et devant) la nourriture qui intéresse Storer. Via une narration et une écriture de personnages emplie de sensibilité, la première saison parvenait à distiller ce qu’il fallait de détails pour caractériser au mieux chacun des acteurs de ce restaurant, là encore véritable métaphore d’une vie ponctuée de casseroles sales qu’il faut retaper pour avancer.
Ainsi, outre l’enjeu de faire tourner la baraque, c’est avant tout dans la vie et les affects de chacun que The Bear trouve son axe dramaturgique central, via une excellente gestion du non-dit, et dans une distillation fine des diverses informations prodiguées par les personnages au cours des épisodes. Dès lors, The Bear s’apparentera vite comme un récit intime dont on prendra un vrai plaisir à évoluer parmi cette troupe de personnages complètement authentiques.
Et même si la Saison 1 offrait d’édifiants morceaux, comme cet épisode 7 (« Review ») chaotique où la brigade de cuisine s’effondre par la pression exercée par Carmy, ou l’épisode 8 final (« Braciole ») s’ouvrant sur un excellent monologue du protagoniste principal verbalisant son trauma, c’est bien la saison 2 de The Bear qui élève chaque aspect de la série Storer. Plus ample, on y traite globalement tous les personnages en plus du trio principal, tout en allant bien plus loin dans l’exploration de ces thématiques propres !
Pause kinétique pour un meilleur développement
Des histoires de deuil, de post-traumatisme, de culpabilité, de toxicité professionnelle, d’anxiété sociale ou encore d’addiction, le tout sans une seule once de pathos. Un exploit que l’on doit bien sûr à l’écriture globale, mais aussi à son formidable casting de comédiens. Tous ont le temps de briller, notamment dans cette saison 2 amenant bien plus de séquences avec Jimmy (Oliver Platt), « l’oncle » qui parraine les rénovations de The Beef en The Bear, ou Natalie « Sugar » Berzatto (Abby Elliott), la sœur désormais gérante administrative de l’entreprise familiale.
Là encore, The Bear n’hésite pas à légèrement délaisser le chaos et l’énergie de la Saison 1 (sauf dans son excellent épisode 2.10 qui use de plans-séquences entièrement prenants entre la cuisine et la réception) pour mieux traiter le voyage intérieur des personnages.. Cela se traduit également par toutes les problématiques de taxe, de rénovation, de sécurité incendie ou de logistique propre au milieu qui pourraient être complètement rébarbatives (voire imbuvables) dans une œuvre de fiction, mais où Storer et son équipe arrivent à rendre tout aussi captivantes que consubstantielles à l’évolution des personnages.
Des enjeux impeccablement retranscrits via une mise en scène toujours au plus prêt des visages et des gestes (ou qui capte le mood de la ville de Chicago comme dans l’autre grande série FX qu’est Atlanta) des comédiens. Une quotidienneté captée avec sens, trouvant aussi sa tessiture ambiante via une BO emplie de sons vintage : du rock d’AC/DC aux sons emplis de spleen de LCD Soundsystem, en passant par le blues d’Otis Redding.
Semi-anthologie
Non content de nous laisser sur un beau cliffhanger doux-amer, The Bear Saison 2 impressionne avant tout dans ses pas de côtés narratifs. On retiendra particulièrement l’épisode 4 (« Honeydrew ») mis en scène par Ramy Youssef, voyant Marcus s’aventurer à Copenhague pour mieux apprendre d’un chef (très bon caméo de Will Poulter) ; l’épisode 6 (« Fishes ») sous forme d’un repas de Noël en flash-back qui va virer au désastre (avec Jon Bernthal, Jamie Lee Curtis, Sarah Paulson ou bien Bob Odenkirk), et le touchant épisode 7 (« Forks ») voyant Richie subir une vraie transformation psychologique auprès d’Olivia Colman pour devenir un homme meilleur.
Une vraie sensibilité qui prend efficacement le pouls de tout un milieu essentiel à notre société, parvenant à retranscrire le mélange d’émotion et de rigueur requises, largement véhiculées par Jeremy Allen White (Iron Claw, Shameless), tout simplement parfait en anxieux social incapable de s’exprimer autrement que par sa profession. Et si le reste de la distribution a ses moments (même l’homme-à-tout-faire Neil Fak, joué par le consultant culinaire lui-même de la série qui est Matty Matheson), on appréciera encore une fois la fragilité sourde véhiculée par Ayo Edebiri, et tout le parcours émotionnel entrepris par Ebon Moss-Bachrach pour faire de Richie le meilleur personnage de la série. Entre rire et drama, il n’est donc pas étonnant de voir The Bear séduire même les palais les moins fins : on a déjà hâte de retrouver cette très bonne série pour un 3e repas gastronomique !
The Bear est disponible sur Disney+
avis
The Bear n'est pas qu'une série comique. La création de Christopher Storer est avant tout une touchante étude sur les maux sociétaux modernes, centrée sur l'intimité de personnages en proie à l'anxiété moderne, autant qu'une famille dysfonctionnelle puisant dans leur passion commune. Une catharsis culinaire impeccablement écrite, jouée et filmée dont on a déjà hâte de voir l'inévitable 3e saison en 2024 !