Après Your Name et Les Enfants du Temps, Makoto Shinkai revient avec son tout nouveau film : Suzume ! Présenté à la Berlinale, cette nouvelle aventure mêlant émotion, spectacle, humour et ancrage dramatique historique est une nouvelle merveille d’un des plus grands cinéastes d’animation récents.
En l’espace de deux décennies, Makoto Shinkai se sera fait une place de roi au sein de l’industrie. Mais c’est réellement avec le sublime Your Name en 2016 et le très bon Les Enfants du Temps en 2019 que le « nouveau Miyazaki » a vu son statut s’accroître de manière exponentielle. C’est donc avec une impatience non-dissimulée que Suzume est attendu au tournant !
La plus grande aventure de Makoto Shinkai
En effet, Suzume est selon Shinkai son premier « film d’action-aventure », avec toujours une dimension fantastique. Cependant, ce nouveau-long-métrage poursuit son ancrage émotionnel dans la même veine que ses deux précédentes œuvres, en y faisant intervenir la nature de manière signifiante. Le résultat est tout simplement splendide !

Le film prend place en 2022, et nous découvrons la jeune Suzume Iwato. Cette ado de 17 ans vit avec sa tante à Miyazaki, au sud du Japon. Insouciante malgré la perte de sa mère 11 ans plus tôt, son destin va prendre une tournure inédite lorsqu’elle fera la découverte d’une mystérieuse porte, au centre d’un village voisin en ruines. Alors que la jeune femme semble y discerner un portail vers une autre dimension, un fléau maléfique en jaillit, heureusement stoppé à temps par Sōta Munakata (se présentant comme un Verrouilleur).
Mais alors que de multiples questions s’entrechoquent dans la tête de Suzume, l’apparition d’un chat énigmatique et facétieux dénommé Daijin va engendrer la métamorphose de Sōta en chaise de bois. C’est ainsi que Suzume et son compagnon de fortune vont se retrouver dans une quête à travers le Japon. L’objectif ? Clore toutes ses fameuses Portes afin d’empêcher la destruction du Japon, mais également faire retrouver sa forme humaine à Sōta et lever le voile sur les évènements funestes survenus lorsque Suzume était enfant.
Suzume : une histoire de liens
Point de suspense : Suzume est de loin la plus grande réussite de Makoto Shinkai… avec Your Name ! Difficile en effet de détrôner ce dernier ne serait-ce que par la perfection de sa construction globale, mais aussi car Makoto Shinkai aura décliner divers éléments structurels de son récit par la suite. C’était déjà le cas dans Les Enfants du Temps, et c’est également présent dans Suzume : l’intime qui côtoie la grandeur et le surnaturel, l’amour naissant, le rapport aux phénomènes naturels, la balance entre l’humour et le drame, et enfin la thématique du lien !

Plus précisément : Shinkai réitère une perte de lien entre divers personnages (c’était le cas dans Your Name ou Les Enfants du Temps) et la pousse encore plus loin avec Suzume, alors que l’héroïne tente de rendre forme humaine à son compagnon et de renouer avec la mémoire de sa mère disparue. S’ouvrant sur une séquence cryptique où la jeune Suzume erre avec détresse entre les ruines (déjà affublée de cette fameuse chaise McGuffin), on comprend néanmoins que le film souhaite avant tout orchestrer un lien plus fort entre les individus face à une mémoire collective qui panse encore ses plaies (Death Stranding n’est pas loin).
Nature opposante
Exit les météores ou autres pluies diluviennes, Suzume traite des séismes inhérents de l’archipel nippon (au point qu’ils font partie du quotidien japonais) et du trauma de 2011 pour délivrer un récit émotionnellement ample, mais ne négligeant pas son intimisme. Une emphase qui devrait d’ailleurs réserver quelques notes lacrymales, notamment via ce rapport mère-fille atteignant son point culminant lors d’une formidable séquence se situant dans une prairie jonchée d’une voûte stellaire.
Si l’on devait pinailler, les coutures narratives désormais connues du réalisateur paraîtront un tantinet attendues lors du climax, ainsi que dans la gestion de la « romance » centrale moins prégnante, alors que Sōta demeure un personnage finalement peu développé en comparaison de la dite Suzume. Cependant, cette dernière demeure avant tout le pivot de cette intrigue, proposant une aventure dépaysante, impressionnante, drôle et touchante !

Et quel voyage ! Un des grands exploits de Suzume est son mariage d’influences, entre imagerie folklorique (Shinkai s’est inspiré de la figure du Ver et des croyances anciennes Namazu visant à donner une origine mythologique aux séismes), délires loufoques (nul doute que le Dieu-chat Daijin saura provoquer quelques fous-rires) ainsi que déclaration d’amour au Japon et ceux qui le peuplent (alors que Suzume fera diverses rencontres signifiantes tout au long de son périple).
Japanimation emplie de splendeur
Malgré ce mariage souvent improbable sur le papier, cristallisé par la « Sōta-chaise à trois pieds » (à la fois ressort comique via sa démarche, mais également ressort dramatique et émotionnel fort), le tout est d’une cohérence absolue (jusque dans la musique de Radwimps et ses sonorités à la Hisaishi). Et qui dit CoMix Wave Films, dit également une animation riche et haut de gamme : Suzume est un festin de chaque instant pour les yeux !

De Kyushu à Tōhoku en passant par Ehime ou bien Tokyo, les environnements jouissent d’un souci du détail parfois hallucinant. De la nature aux mégalopoles, en passant par les effets de pluie/vent, les intérieurs ou les mouvements des personnages… on a rarement vu film d’animation 2D plus splendide ! Un ravissement de chaque instant, boosté par l’utilisation du Cinemascope (une première pour le réalisateur !) et sa propension à capturer la quintessence des landes japonaises.
Vous l’aurez compris, Suzume est une nouvelle pépite d’un des meilleurs réalisateurs japonais actuels. Un très très bon film qui se veut comme la fin d’une trilogie thématique pour Makoto Shinkai, en plus d’être son œuvre la plus impressionnante visuellement. Reste à voir s’il se détachera de ses schémas narratifs désormais bien connus par la suite, mais on tient là une petite merveille d’animation de plus !
Suzume sortira au cinéma le 12 avril 2023
avis
Suzume est une nouvelle splendeur d'un Makoto Shinkai au summum de son artisanat. Autant une aventure folklorique emplie d'émotions que pamphlet profondément humaniste, cette déclaration d'amour au Japon est une petite merveille visuelle qui s'inscrit instantanément comme un incontournable de son réalisateur !