Présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 2025, Sound of Falling, œuvre de la réalisatrice allemande Mascha Schilinski, se révèle comme une exploration poétique et spectrale de la transmission d’une douleur fantomatique à travers les âges. Le film nous plonge au cœur d’une ferme rustique en Allemagne, théâtre du destin de quatre générations de femmes dont les vies sont marquées par une pénibilité insidieuse.
Au fil d’un récit qui navigue avec porosité entre les époques, Mascha Schilinski tisse une toile narrative complexe. Elle distille les clés de compréhension au spectateur avec parcimonie, préservant une aura de mystère qui demeure jusqu’au dernier plan. Dans Sound of Falling, la frontière entre le réel et l’irréel (où devrait-on dire, le monde spectral) s’estompe rapidement, nous amenant à interroger la nature même de ce que nous voyons.

Une patine lumineuse sur la noirceur
Licht – la lumière. Ce mot semble guider la main de Mascha Schilinski et de son équipe pour composer la photographie de Sound of Falling. Celle-ci est d’une intelligence remarquable, alternant avec une grande finesse les ambiances tamisées, éclairées à la lueur vacillante des bougies et des lampes à pétrole, avec la clarté naturelle et chaleureuse d’une douce matinée d’été. Cette délicatesse formelle contraste puissamment avec la dureté du propos, créant une tension constante entre la beauté de l’image et l’âpreté des vies qu’elle dépeint. Car si la surface est emprunte d’une certaine esthétisation granuleuse et organique, le fond est d’une noirceur abyssale.
De plus, la caméra, témoin spectral, se révèle comme une actrice à part entière. Mouvante, insaisissable, elle s’approche ces jeunes filles à leur insu, tel un esprit errant partageant avec elles des fragments d’un univers qu’elles n’ont jamais consciemment connu, mais qui les imprègne inexorablement. Cet univers, c’est celui d’une douleur héréditaire et partagée, d’un monde impitoyable où le cocon familial, loin d’offrir une quelconque protection, se mue en une prison mentale et physique. Les murs de la ferme semblent retenir les secrets et les souffrances, les transmettant comme un héritage maudit.
L’épreuve viscérale du temps
Sound of Falling se déploie ainsi comme une œuvre cinématographique saisissante, dont la grande beauté visuelle sert un récit d’une effroyable et subtile horreur psychologique. La durée conséquente du film (2h29) instaure un certain déséquilibre narratif par son rythme lancinant. Néanmoins, ce temps long s’avère fondamental pour atteindre une dimension essentielle : la viscéralité. Le spectateur ne regarde pas seulement ces destins se dérouler, il les ressent physiquement et mentalement. L’univers dépeint par Schilinski, le poids du passé et le fardeau de ces jeunes femmes s’insinuent durablement en nous, comme le fantôme d’un monde révolu, d’un membre amputé qui nous hante encore et qui nous pousse à une réflexion profonde sur la mort, la transmission de la douleur et les non-dits du cercle familial.
Sound of Falling n’a pour le moment pas de date de sortie dans les salles obscures. Retrouvez tous nos articles du Festival de Cannes ici.
Avis
Sound of Falling s'avère être une œuvre singulière, d'une beauté formelle aussi sidérante que la violence de son propos est d'une noirceur abyssale. Par sa viscéralité, le film stimule le spectateur, quitte à le déranger, et le pousse à réfléchir sur des sujets profonds tels que la mort et la douleur de la vie. Bref, le parfait opposé d'un feel good movie, mais une expérience cinématographique puissante !