Sans faire de bruit nous plonge, entre théâtre et documentaire, dans une vie qui bascule soudain dans le silence.
Sans faire de bruit est un seule en scène au croisement du théâtre, du documentaire et de la création sonore. Une enquête intime sur l’onde de choc d’un drame au sein d’une famille. Un spectacle d’une grande originalité qui nous a embarqués dans son univers.
Un captivant mélange des genres
C’est un genre qui avait déjà su nous séduire l’année dernière, au Théâtre du Train Bleu déjà, avec la pièce pleine de tendresse de Camille Berthelot, Maryvonne, qui explorait la relation entre une grand-mère et sa petite-fille. En se mêlant au théâtre, le documentaire prend une dimension artistique qui facilite le trajet de l’émotion, de l’empathie. Et des portes peuvent alors s’ouvrir que nous n’aurions sans doute pas poussées autrement.
Il y a des drames qui viennent bousculer nos vies avec fracas, qui résonnent à en faire trembler les murs. Ce drame là est arrivé à pas feutrés, sans faire de bruit. Un réveil différent des autres, étonnamment trop calme. Le son qui s’effrite jusqu’à disparaître, la vie soudain devenue muette. C’est l’histoire vraie de Brigitte, la mère de Louve, brutalement frappée par la surdité un matin d’automne 2017, au réveil.
Et le monde se tut
C’est l’histoire d’un monde qui bascule, d’une réalité qui ne sera plus jamais la même, de repères qui volent en éclats dans un quotidien devenu tragiquement silencieux. « La voix des gens aimés » qui, soudain, se tait pour toujours. Il faut alors réapprendre à être en relation autrement, à communiquer… mais faire le deuil aussi, de tout ce qui ne pourra pas exister autrement. Les pas de sa petite fille qui courent vers sa chambre le matin, les conversations au téléphone avec son fils, son travail de psychanalyste… Triste ironie du sort qui prive du son une professionnelle d’un métier d’écoute…
Sur scène, Louve Reiniche-Larroche n’est par vraiment seule. Enfin, elle l’est, physiquement. Mais cette famille toute entière existe par ces enregistrements sonores d’entretiens réalisés avec chacun de ses membres, et que la comédienne incarne de façon surprenante, traversée par ces six voix, dont la sienne, qui racontent leur histoire, la manière dont eux ont vécu ce drame. La synchronisation est d’une précision incroyable. Et tandis que ses lèvres remuent silencieusement, on jurerait que c’est d’elle que proviennent ces voix que l’on entend.
Sans faire de bruit : une création brillante
Ce spectacle offre une expérience théâtrale originale et d’une grande intelligence. Il est le résultat de la combinaison de deux talents. Celui de Louve Reiniche-Larroche dont le jeu est épatant. En véritable caméléon elle se glisse dans la peau des siens, se laissant habiter par leurs voix, leurs rythmes, leurs intonations, leurs souffles. Ainsi, elle est tour à tour le grand-père, la belle-fille, le fils, la petite fille… merveilleuse dans ce dernier rôle mais formidablement juste dans tous ! Au point que son visage semble parfois se transformer et que c’est bel et bien son frère que nous avons l’impression de voir lorsque vient son tour !
L’autre talent de ce spectacle, c’est évidemment Tal Reuveny, qui signe une mise en scène merveilleusement sensible, inventive et poétique, en complicité avec le travail à la lumière de Louise Rustan, qui fait résonner le silence. Cette manière de nous plonger dans le noir le temps d’une scène où seule la voix, le son donc, fait exister un récit, un décor, des émotions, avant de nous confronter au silence est brillante.
Tout comme ces visages qui disparaissent peu à peu derrière des cheveux, des mouchoirs, des volutes de fumée, un abat-jour… symbolique de toutes les individualités qui s’effacent quand le visage n’est plus accessible et ne permet plus de lire le son sur les lèvres… L’ensemble est tragiquement beau, d’une infinie délicatesse, et éclairé de quelques notes d’humour, d’autodérision, de légèreté qui rendent l’ensemble digeste. Une pépite.
Sans faire de bruit, de Tal Reuveny & Louve Reiniche-Larroche, mise en scène Tal Reuveny, se joue du 3 au 21 juillet à 12h10 (relâche les lundis) au Théâtre du Train Bleu.
Retrouvez tous nos articles consacrés au Festival Off d’Avignon ici.
Avis
C'est un travail minutieux et admirable, au jeu comme à la mise en scène, qui nous intrigue, nous captive, nous bouleverse. Il est bel et bien question d'art ici, de créativité. Le sens et l'esthétique se rejoignent avec beaucoup d'intelligence pour nous offrir un moment de théâtre d'une grande originalité.