Impossible de conclure 2022 sans aborder l’un des films majeurs de cette année : RRR ! Véritable phénomène en Orient, ce blockbuster telugu signé S.S. Rajamouli (Baahubali) est non seulement le film indien le plus cher de l’Histoire, mais également le plus gros succès du cinéma hindi. Retour sur cet électron libre totalement jubilatoire d’une durée de 3h.
S.S. Rajamouli fait office de figure de proue d’un cinéma indien ambitieux : que ce soit avec son inventif Eaga ou son diptyque Baahubali complètement taré, le réalisateur a pu nous abreuvé de vraies propositions de cinéma avec du cœur. RRR ne déroge pas à cette règle ! Véritable phénomène en Inde, ce blockbuster en langue telugu est aussi le film Indien le plus cher de l’Histoire (72 millions de dollars, soit l’équivalent des mid-budgets américains tels que Nightmare Alley ou Nope).
Une ambition qui porta largement ses fruits devant le succès du film (plus de 175 millions de dollars au box-office mondial soit le plus gros succès d’un film indien), qui aura dépassé les frontières en remettant sur le devant de la scène le cinéma hindi. Un métrage dont on attend toujours une version physique ou numérique dans notre cher Hexagone, car ce nouveau film de Rajamouli vaut son pesant de crores !
Révolte d’une nation
RRR se déroule en Inde en 1920, en pleine période du Raj colonial. L’Angleterre gouverne le territoire d’une main de maître depuis près de trois décennies. Alors qu’une jeune fille de la tribu Gond est enlevée sous les ordres de Scott Buxton (un Ray Stevenson délicieusement détestable), il incombe donc à Komaram Bheem (le gardien de la tribu joué par N.T. Rama Rao Jr.) de tout faire pour la retrouver.
En parallèle à Delhi, nous découvrons l’impétueux Alluri Sitarama Raju (interprété par Ram Charan) au sein de la Police impériale. Ce dernier est chargé de traquer et de démanteler la cellule de résistance dans laquelle Bheem va peu à peu s’imposer. Mais alors que les deux protagonistes se rencontrent lors d’un sauvetage, une grande amitié va naître. Malgré leurs missions secrètes, ce lien va peu à peu conduire aux fondations d’une révolte contre le régime totalitaire ambiant.
Habitué des gros budgets (notamment dans son diptyque épique Baahubali), Rajamouli amène toute sa sincérité dans RRR : Rise, Roar, Revolt, soit un cri du coeur profondément patriotique où l’héroïsme prime. Plaçant ses deux protagonistes comme des avatars du feu et de l’eau, RRR nous montre finalement 2 facettes de l’Inde, réunies ensemble face à l’oppression. Une sorte de Braveheart indien dopé à la testostérone et aux possibilités jubilatoires du grand spectacle furieux !
Car tout comme William Wallace, Raju et Bheem ont bien existé, et font figure d’icônes historiques majeures dans la libération du pays. Si le premier a bien combattu le Raj à la même période, le second a lutté contre les souverains de la région d’Hyderabad quelques années après. Ces deux révolutionnaires-clés ne se sont donc jamais rencontrés, et RRR convoque l’Histoire et la fiction tout en en captant la substantifique moelle : comme disait John Ford, « quand la légende dépasse la réalité, on publie la légende » !
L’Eau et le Feu
Ainsi, Bheem et Raju sont traités par un pur prisme cinégénique, dépeints tels des super-héros élémentaux d’antan, ainsi que les avatars de Ramayana et Mahabharata. Via une pureté d’intention et une efficacité narrative absolument redoutable, tout est posé avec une clarté rare dès les 20 premières minutes : présentation des enjeux, des personnages (cartons à l’appui), iconisation en règle et premières scènes d’action dopées à l’epicness pur jus sans matières grasses ajoutées.
Et à ce titre, rien que les pugilats introductifs affichent une efficacité et une maitrise assez redoutables : un mano-à-mano dans une foule avec des centaines de figurants, une confrontation à un tigre ou encore un sauvetage acrobatique jouissent déjà d’un découpage saisissants de dynamisme. Mais c’est sans compter le crescendo d’intensité et de folie pures que Rajamouli nous réserve, que certains John Woo ou Tsui Hark n’auraient pas renié.
Galvanisantes et inspirées (une scène d’évasion de prison se transformant en bromance Rambo-esque ultime, ou encore tout le climax sous forme de guerilla aux propensions mythologiques), tantôt homériques ou violentes, le spectacle est total et complètement débridé (jusque dans une séquence centrale de danse prônant le triomphe de la culture locale). Les morceaux de bravoure aux chorégraphies millimétrées s’enchaînent, mais finalement la vraie charpente de RRR tient dans son amitié imaginaire entre ces deux protagonistes, et l’immense cœur de Rajamouli.
RRR ou le nec plus ultra de l’épique débridé
Si le film amène un soupçon de romance (très secondaire il faut dire), c’est avant tout l’émotion procurée par la conviction de ses deux hommes, et leur aspect de martyr au nom de la liberté qui parvient finalement à émouvoir. Un propos cristallisé dans une poignante séquence de lynchage public, où l’enjeu tient dans le fait de ne pas s’agenouiller. De l’iconisation certes, mais jamais en surface, d’autant que le métrage a la bonne idée de donner de la voie au quidam, notamment dans un superbe passage flash-back où le passage de flambeau se fait par une simple phrase de père en fils.
Enfin, S.S. Rajamouli livre avec RRR un film visuellement travaillé, dopée à la photographie lumineuse de U.K. Senthil Kumar et à la BO fulgurante de M.M Keeravani. Une fabrication des plus exemplaires pour un blockbuster unique donc. D’une durée de 3h, mariant les tons et les registres tel un cador, ce nouveau magnum opus du cinéaste tollywoodien s’impose comme un indispensable et une nouvelle référence du genre. Alors qu’une suite est prévue, il nous tarde déjà de le re-re-revoir, car RRR fait office de festival pyrotechnique et de grand divertissement total, érigeant le spectacle au rang d’art.
RRR est sorti au cinéma le 25 mars 2022
avis
Avec RRR, S.S. Rajamouli accouche d'une petite pépite furieuse. Alors que l'Histoire et le mythe se rejoignent, cette odyssée révolutionnaire de 3h se veut autant la bromance ultime qu'un des plus grands blockbusters récents. Un débridage créatif absolument revigorant !