Porn for the blind est une comédie romantique originale et tout en sensations, où tout est dit sans être montré.
Après son succès au Festival Off d’Avignon l’année dernière, puis à Paris, cette pièce au titre et à l’affiche intrigants ont fini par attiser suffisamment notre curiosité. Nous sommes donc allés nous laisser surprendre par cette création originale, teintée de bien plus d’amour qu’on ne l’imagine, et qui ouvre une réflexion intéressante sur le rapport à nos sens et à notre imaginaire.
« C’est une longue histoire qui finit bien loin de son début. »
Love at first sight
Il y a des rencontres qu’on ne prévoit pas. Des rencontres qui ne sont même pas des rencontres à vrai dire. Une silhouette, un parfum, un regard que l’on croise au milieu de la foule et que l’on voudrait ne jamais laisser s’échapper sans même savoir qui, quoi, pourquoi… C’est ce qui arrive à Éva. Cet homme qu’elle a à peine croisé, un peu suivi, et sous le charme duquel elle est tombée, elle ne parvient pas à l’effacer de sa mémoire. Ni cette main qu’il a brièvement fait glisser sur sa joue après une bousculade…
Alors, avec le peu d’informations dont elle dispose de ce qu’elle a pu observer, elle décide de partir à la recherche de celui qu’elle imagine déjà comme étant l’homme de sa vie ! Brun, la trentaine, de taille moyenne, une barbe de trois jours, un sourire mystérieux… et non-voyant. Des observations et des suppositions qui vont l’amener là où elle ne se serait jamais imaginée aller !
Porn for the blind célèbre notre imaginaire
Si cet homme est bel et bien non-voyant, c’est à partir de cette donnée qu’Éva aura le plus de chances de retrouver son mystérieux inconnu. « Où trouver un aveugle à Paris ? » demande-t-elle alors à Google ! Et la voilà partie à la conquête de tous les lieux, activités et autres clubs sportifs dédiés aux aveugles à Paris ! Jusqu’à atterrir dans une petite entreprise spécialisée dans l’audiodescription de scènes pornographique à destination des aveugles, Porn For The Blind.
« Notre boulot, c’est juste de prêter nos yeux à ceux qui ne voient rien. » explique le directeur de l’entreprise à Éva qui s’y fait embaucher en espérant qu’un jour, l’un de ses auditeurs soit « son prince » et qu’elle puisse lui glisser un message. Ils s’agit donc de décrire ce qui se passe à l’écran… mais finalement aussi ce qui ne se passe pas, une atmosphère, un climat de tension, un décor, afin de rendre l’expérience la plus réaliste possible pour les auditeurs. Une mission déroutante pour la jeune femme, qui va bouleverser sa vision de l’amour et de l’imaginaire.
« Comment on peut faire avancer les choses si on fait toujours tout pour plaire aux plus médiocres ? »
Porn for the blind nous invite à ressentir. En effet, à travers le thème de la pornographie s’ouvre une véritable réflexion quant à la place de notre imaginaire dans notre perception, notre ressenti des choses. Dans cette industrie où les contenus sont créés par des hommes pour des hommes, on réalise plus encore avec les oreilles qu’avec les yeux qu’aucune place n’est laissée à la sensibilité, à la suggestion, à l’imagination, et encore moins à la poésie et à l’amour.
De l’amour et de la sensibilité avant tout
Sur scène, Lison Pennec, (Molière de la révélation féminine pour Glenn, naissance d’un prodige), est cette jeune femme si romantique et passionnée qu’elle parvient à nous faire croire à cette histoire qui peut d’abord sembler improbable. À ses côtés, Xavier Martel et Victorien Robert s’emparent également de la scène avec une belle énergie. Ce dernier signe aussi le texte, parfois drôle, souvent tendre et sensible, jamais vulgaire, et la mise en scène dynamique et efficace qui nous emmène parfois au plus près de la réalité de ce que vivent les personnes aveugles en écoutant ces podcasts réservés aux adultes chuchotés au micro dans le noir.
Quelques détails tout de même nous ont moins convaincus. Comme l’emballement peu crédible du directeur de la boîte pour le pseudo « talent » d’Éva alors qu’elle débute et est particulièrement mal à l’aise, pour ne pas dire mauvaise, dans l’exercice. Ou la justification de l’un des employés quant au choix de ce métier qui, en plus d’être un peu caricaturale, amène une brève et soudaine dimension dramatique qui arrive comme un cheveu sur la soupe, sans rien apporter à l’histoire. D’autant que la présence du directeur nous est déjà justifiée par un contexte de vie douloureux. À croire que seul un trauma puisse justifier un tel choix de métier…
On retiendra notamment de cette pièce la réflexion très intéressante et habilement posée sur notre rapport à la pornographie. Et l’on ne peut que constater, en fermant les yeux et en ouvrant grand les oreilles, qu’un peu d’amour, de poésie et même un soupçon de second degré ne nuirait en rien au plaisir, bien au contraire. D’ailleurs, le plaisir est ici bel et bien rendez-vous. Celui du théâtre bien sûr !
Porn for the blind, de Victorien Robert, mise en scène Victorien Robert, avec Lison Pennec, Xavier Martel & Victorien Robert se joue au Théâtre des Béliers Avignon, du 3 au 21 juillet 2024 à 20h50 (relâche les mardis).
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Avis
Voilà une comédie romantique qui nous en met plein les yeux sans rien nous montrer ! Et c'est par les oreilles que les limites de l'industrie du porno nous sautent aux yeux tandis que cette improbable quête d'un prince charmant évanescent vient distiller un peu de poésie et de douceur dans tout ça.