La réalisatrice Ninja Thyberg signe ici son tout premier film avec Pleasure. Incursion dans le milieu du porno US, ce long-métrage choc et frontal ose tout en plongeant le spectateur dans les coulisses d’un business tabou. Focus sur un des films les plus étonnants de l’année !
Le rêve américain, le showbiz ou même le porno ont déjà pu être abordés au cinéma, notamment par des cinéastes de prestige. On peut par exemple citer des films comme Showgirls ou Boogie Nights, mais force est de constater qu’après avoir vu Pleasure, ces derniers pourraient presque faire office de films familiaux. S’ouvrant sur un fond noir avec des sons gutturaux d’un tournage, la note d’intention est tout de suite posée par sa réalisatrice : à savoir montrer l’envers du décor d’une industrie qui reste cachée sous le manteau, mais qui paradoxalement a pris un essor monstre à l’ère du numérique et des réseaux sociaux.
Et pour cela, la réalisatrice Ninja Thyberg aura fait un travail de recherche et de documentation de plus de 6 ans. Côtoyant des acteurs, des actrices ou bien des producteurs, cette dernière aura donc pris le pouls de tout ce milieu (« tout ce qui est montré dans le film je l’ai vu » aura-t-elle affirmé en interview) pour en livrer à la fois un témoignage proche du docu-fiction, mais qui n’oublie pas le parcours de son héroïne. Une héroïne qu’il aura fallu trouver via de longs mois de casting, là où le reste de la distribution est intégralement constituée d’acteurs/actrices porno.
D’entrée de jeu nous suivons l’arrivée à Los Angeles de Linnéa/Bella Cherry, jeune suédoise de 21 ans et prête à tout pour percer dans le porno. Désireuse de faire partie de l’élite, on la suivra gravir les échelons, tenter de faire grimper sa notoriété, et expérimenter divers types de tournages. Évidemment, le spectateur sera confronté à des séquences de plus en plus hardcore, très loin de l’aspect pornographique que ces images sont censées représentées au final. En montrant la réalité dans ce qu’elle a de plus crue, Ninja Thyberg arrive étonnamment à créer de l’humour en mettant le focus sur l’absurdité du spectacle, ou au contraire créer un vrai sentiment de malaise.
Male gaze sous X
La mise en scène trouve par ailleurs ses soubresauts lors des dits-tournages, où la caméra épouse de manière encore plus suggestive le point de vue de Bella. Cette démarche rapidement inconfortable trouve son point d’orgue dans une éprouvante séquence d’humiliation et de violence. Se dédouanant sous couvert du fait que rien n’est obligatoire sans clause ou contrat d’approbation, tout le milieu produisant ce type de contenu est rapidement critiqué avec virulence et efficience. Pour autant, Thyberg ne critique pas l’industrie du porno, et ne joue absolument sur aucun cliché concernant les motivations de son héroïne (lors d’une séquence en début de film, elle précise bien qu’elle n’a subi aucun abus ou trauma d’enfance). On retiendra par ailleurs une séquence de bondage orchestrée dans un environnement sain, avec toujours des femmes devant ou derrière la caméra.
Au final, l’antagonisme premier est avant tout un patriarcat tout-puissant et une vision masculino-sexiste du porno, autant qu’un système enraciné destiné à exploiter les plus faibles. En un sens, Pleasure aborde le porno mais ses thématiques sont valables à tout star system et milieu de l’entertainment. La loi du plus fort prédomine, et seule la domination compte… Là est le cœur du film et de ce que met en avant la réalisatrice, sans once de manichéisme : le « climax » du long-métrage en est par ailleurs la parfaite synthèse ! Chapeau !
Pleasure jouit (aucun jeu de mot de notre part) d’une interprétation tout à fait excellente de Sofia Kappel en Bella. Pourtant totalement novice en matière d’acting, cette dernière parvient en quelques expressions à nous faire ressentir la détermination, la force ou la détresse de son personnage. D’habitude, ce genre de protagoniste se veut détestable ou volontairement antipathique, mais ici aucune distance se met entre elle et nous (jusque dans sa moindre intimité non-glamourisée). En résulte une des révélations de l’année pour un rôle complètement maîtrisé par son interprète.
Si cet aspect documentaire et incarné est une des grandes forces de Pleasure, on regrettera cependant qu’en temps que parcours scénaristique global, l’intrigue se veut finalement assez balisée. La conclusion est plutôt abrupte et attendue, mais au final le voyage en vaut la peine, faisant à la fois cohabiter le sublime au grotesque (jusque dans la bande-son éclectique oscillant entre rap féminin trash et chants évangéliques).
Pleasure n’est définitivement pas pour tous les publics, mais sonde à merveille les dessous d’une industrie gangrenée par le pouvoir de l’argent. Une vraie critique du male gaze bien audacieuse et rentre-dedans comme il faut. Un film frontal et osé qui ne laissera personne indifférent !