Nadia, Butterfly (que nous déformerons en Nadia Butterfly sans sa virgule) réalisé par Pascal Plante est un bon film. Alors, on sait que l’on vous tue un peu le suspense, mais justement, ce qui compte ce n’est pas la conclusion, mais ce qui la suit. Le nœud, c’est le retour à la normale. Après avoir planté le drapeau sur la surface lunaire, que s’est-il donc passé dans la tête de ceux qui venaient d’y poser le pied ? C’est une bonne question non ? Nous on trouve que c’est une bonne question.
Nadia Butterfly ne commence pas sur ce héros candide mais motivé, cette bande de gars un peu cheum mais aux grands cœurs, cette montagne à gravir et le long chemin sinueux qui lui court tout du long. Non, le long-métrage de Pascal Plante commence à deux pas du sommet et ça pour un film sur le sport de haut niveau et ses athlètes, c’est assez atypique. Disons même que c’est l’occasion pour le film de proposer des représentations plus authentiques que ses petits camarades abonnés aux grandioses et aux belles histoires. Nadia Butterfly n’est pas une histoire à petite morale.
Nadia the Eagle
On le mentionnait déjà en préambule, mais une des marques de fabrique du film est avant tout de se construire comme une fuite et une descente post-victoire. Une anti-montée en puissance qui fait tomber la médaille olympique dans la première demi-heure – avec, cela dit, un vrai sens de la tension ne vous y trompez pas.
Dans Nadia Butterfly, on suit Nadia – pas folle la guêpe – athète de haut niveau participant aux jeux olympiques de Tokyo – qui dans la réalité reste dans l’incertitude quant à leur tenue. On utilise “suivre” et ce n’est pas un vain mot, il est clair que Katerine Savard est un miel pour la caméra. D’ailleurs, et c’est important de le saluer, dans Nadia Butterfly ça joue extrêmement bien, du premier rôle donc, aux seconds couteaux et en passant par les apparitions plus succinctes, les prestations de certains et surtout certaines portent vraiment le film et son intensité.
La perspective qu’offre le long-métrage est super intéressante ; C’est quoi l’après sport ? Même si atteindre un tel niveau est synonyme d’effort et de “sacrifice”, le rayonnement est de courte durée. C’est compliqué d’abandonner une partie de ce qui fait notre identité, quelque chose qui a rythmé notre vie si intensément pendant 10 ans, 20 ans. Le film réussit bien à nous parler des doutes de Nadia et de ses emportements aussi, fruits de ses doutes, comme une violente prise de recul qui s’impose, un freinage brutal. Le deuil, absorbé par étapes, qu’il s’agisse d’un retour aux études ou à la “vie active” – ou presque l’inverse dans notre cas -, retour à la vie d’actif plutôt.
Le film sait capturer ces moments clés, ces voûtes émotionnelles qui sous-tendent le récit. Quel plaisir de voir les émotions à nu, sans nappage musical intrusif ou violon de comptoir, le film a confiance en ce qu’il filme. La caméra sait trouver ces moments d’humanité pleins, puis leur donner du temps, de l’espace, mais aussi les découper un peu plus dans le montage si approprié. On reviendra là-dessus.
En immersion
Pascal Plante n’est pas allé chercher n’importe qui. On ne peut pas faire barboter Catherine Frot dans une piscine et nous faire croire qu’il s’agit de Laure Manaudou. S’il y a évidemment dans le lot quantité d’acteurs professionnels qui font un super boulot, il y a surtout nos quatre nageuses canadiennes. Nadia, interprétée avec beaucoup de justesse par Savard, est un corps, des habitudes, des gestes, un naturel devant la caméra qui désarme. Ariane Mainville, Hilary Caldwell, Calin McMurray et Katerine Savard donc, savent ce qu’elles “jouent” et donnent à la mise en scène et au montage tout ce dont ils avaient besoin pour continuer à filmer le réel et l’immersion.
Il faut dire que l’œil de Pascal Plante, lui-même ancien nageur – ayant échoué aux qualifications pour les olympiques de 2008 – doit irrémédiablement jouer dans cette honnêteté qu’a le film sur ce qu’il filme, ce respect et ce sérieux qu’il a pour son sujet. Un film passionné qui passionne son spectateur. On sent une recherche d’authenticité qui en bout de course paye complètement. Si le film se veut un spleen sur une longue partie de sa trame, il n’en oublie pas de rappeler que le réel, c’est aussi une variété d’émotions et de sensations, des instants de mou, puis de tension, durs, qui saisissent, puis un quiproquo, un malaise. Cette richesse participe à la sensation réelle que peu de films arrivent aussi bien à synthétiser. Documentaire pour le mieux et fiction pour le meilleur.
On n’évite cela-dit pas tous les écueils de certaines scènes de boîte de nuit un peu plates, mais ça semble être un marronnier du genre tant l’exercice est souvent raté. Pareillement, on trouve les intrusions oniriques pas franchement nécessaires – beaucoup moins maîtrisées que dans un film qui les embrasserait pleinement, comme Irma (notre critique) par exemple. Nadia Butterfly aurait pu carrément se couper de ce genre d’imagerie. Mais bon, on pinaille là, il n’y a rien de très raté là-dedans non plus.
Souffle coupé
On vous a promis qu’on parlerait plus longuement de la mise en scène et du montage, voilà donc qu’on y vient. Quel plaisir de voir un film aussi bien pensé et réalisé. Originellement nous avions prévu de vous parler d’au moins deux scènes, mais vu la direction que l’ensemble prenait et dans un geste salvateur, on a décidé de ne se concentrer que sur une seule, la course de relais à Tokyo.
Les nageuses hors des regards, dans le couloir. Attente. Elles entrent en pleine lumière, arrivent au bord de la piscine avec les autres équipes. La foule dans le flou, le monde entier, dans le flou. La pression forcément, l’appréhension. Elles attendent, remontent leur maillots, s’encouragent. Lunettes, bonnets, l’épreuve commence. La première se jette à l’eau, on ne la voit pas, pourtant elle donne tout ce qu’elle a. La suivante se prépare. Touche le rebord, la seconde plonge. On ne la voit pas, un aller-retour, long. Rebord touché, Nadia plonge. Cut.
Nadia est dans l’eau, papillon. Deux mouvements, respiration, deux mouvements, respiration… Rebord touché, propulse, demi tour. Deux mouvements, respiration, deux mouvements, respiration… Rebord touché, sort du bassin. Cut.
La dernière est dans l’eau, poursuivant l’effort. Plus tard vous viendront des échos : “La somme d’épreuves individuelles« . Seule dans l’effort en dernier lieu. Elles l’encouragent. 4e place, accélère. Dans le flou, l’autre équipe, 4e place à leur tour. Rebord Touché, 3e place, le Canada. Le regard prend la déception dans le fond, la joie dans le premier plan. C’était sa dernière course. Cut.
Nadia say butterfly
Voilà, tout est là. Des unités, des cuts qui ont du sens, qui ont de l’impact. Des plans qui laissent le temps à la tension de se dérouler et ne faussent pas le contrat pour se vautrer dans le spectaculaire, le spectacle est déjà là dans ce réel qui vous mord les tripes. L’appréhension, le mutisme dans le vacarme, l’enjeu colossal. Nadia est notre perspective, notre hublot sur l’épreuve.
Pas de plans de foule ou de plans de dessus, pas d’images façon TF1, même dans la dernière ligne droite. Nadia dit “somme d’épreuve individuelles« , la mise en scène le dit, dans le bassin plus rien n’existe. Un regard intimiste qui offre pourtant une intensité folle au relais. C’est bien simple, il s’agit de la meilleure scène de natation qu’il nous ait été donné de voir au cinéma.
Malgré quelques longueurs et poncifs, Nadia Butterfly est ce genre de film qui déborde de vie intérieure. Le long-métrage de Pascal Plante (et toute son l’équipe) nous a paru sincère, touchant et drôlement juste, et on vous encourage à en fendre les eaux.