Monstrueuse de Taous Merakchi constitue un essai viscéral où se mêlent passion du cinéma d’horreur féminin, introspection et féminisme pop. Un texte fort qui prouve que parfois, hurler face à l’écran, c’est déjà se libérer.
Imaginez un livre où l’autrice dissèque ses peurs comme d’autres dissèquent les films de Cronenberg. Monstrueuse de Taous Merakchi (éditions la ville brûle, 2025) est une œuvre hybride : mi-autobiographie, mi-déclaration d’amour à l’horreur. Elle nous plonge dans une intimité brute, où le frisson devient outil de survie. Taous Merakchi, plume sans concession, y raconte comment les monstres – ceux des écrans comme ceux de l’âme – l’ont aidée à se construire.
« L’horreur est le miroir de notre société, de notre imaginaire collectif, des réalités dans lesquelles il prend racine. »
Dès les premières pages, elle renverse les clichés. L’horreur n’est pas un plaisir coupable : c’est plutôt un miroir thérapeutique. Un genre qui, loin de glorifier la peur, apprend à la comprendre.
Taous Merakchi, la voix qui se libère
Connue pour ses podcasts et ses ouvrages (Vénère, Le Paon), Taous Merakchi s’impose comme une voix majeure du féminisme et de la pop culture. Avec Monstrueuse, elle signe son texte le plus intime. Elle y relie ainsi ses obsessions culturelles à sa propre histoire, créant un pont entre le vécu et l’analyse.
Son style est direct, érudit, traversé de fulgurances. Elle parle de l’horreur comme d’une alliée.
De plus, son écriture n’analyse pas seulement des films : elle exorcise.

Le monstre comme journal intime
Chez Taous Merakchi, le monstre n’est pas une menace. Il est un refuge. En effet, derrière les références à Scream, Chair de Poule ou Massacre à la tronçonneuse, se dessine une enfance cabossée : près de vingt déménagements, du harcèlement scolaire, une dépression diagnostiquée à 20 ans.
« J’ai le cerveau plein de monstres. Je n’ai pas le souvenir d’avoir existé autrement, et je préférerais mourir plutôt que de me passer de leur compagnie. »
Cette phrase incarne tout l’esprit du livre. Les monstres ne sont pas des ennemis : ce sont des guides intérieurs. L’horreur devient une thérapie par l’art, une façon d’apprivoiser la peur et la honte.
La figure du monstre au cinéma : un corps culturel et politique
Dans Monstrueuse de Taous Merakchi, le monstre représente un corps culturel, façonné par les peurs collectives. Il concentre les angoisses d’une époque : sexualité, corps, pouvoir, identité.
Le monstre dans notre société
Historiquement, le monstre incarne l’Autre : celui qu’on rejette, qu’on cache. Dans Monstrueuse, Taous Merakchi rappelle que l’horreur révèle nos peurs morales plus que nos instincts violents. Même si les amateurs du genre, souvent accusés d’avoir « un problème », ils sont au contraire ceux qui apprennent à affronter leur obscurité. Le cinéma d’horreur devient alors un laboratoire émotionnel, un lieu de décompression du réel.
Le cas du monstre féminin
Taous Merakchi consacre de très belles pages au cinéma d’horreur féminin. De Isabelle Adjani dans Possession à Mia Goth dans Pearl, ou plus récemment le film The Substance, elle explore la puissance du monstre féminin : cette femme qui saigne, désire, détruit, renaît.
Son coup de cœur reste Ginger Snaps (2000), où la transformation en loup-garou symbolise les premières règles et la révolte adolescente. Le corps monstrueux devient alors politique : il refuse la norme, il incarne la rage.
Elle évoque aussi la « mère-monstre », une figure qui pulvérise l’idéalisation de la maternité. Donner la vie, c’est aussi affronter la chair, la déformation, la peur – autant de thèmes que l’horreur aborde frontalement.

L’horreur au cinéma : un miroir sans filtre
Pour Taous Merakchi, le cinéma d’horreur a une honnêteté rare. En effet, il montre ce que d’autres genres taisent. Adolescente, elle découvre Scream, Halloween, The Faculty et L’Exorciste. Ces films deviennent alors des rituels de survie, des moments de catharsis partagée. L’horreur, c’est savoir qu’on peut survivre à tout.
« Regarde, tu peux survivre, tu es encore là ». »
L’horreur au cinéma fonctionne comme un miroir émotionnel : chaque cri devient une victoire. L’autrice y voit une pédagogie de la peur : apprendre à trembler, c’est apprendre à vivre.
Elle aborde également la tératophilie – l’attirance pour les monstres – à travers Bones and All : aimer quelqu’un, c’est accepter sa part monstrueuse. Une vision poétique, presque romantique, de la monstruosité.

De la psyché au corps : les sous-genres de l’horreur
L’horreur psychologique et existentielle
C’est celle qui explore l’âme : la possession, la folie, le doute. Taous Merakchi raconte comment elle a longtemps eu peur d’être « possédée » à l’adolescence – une métaphore de la transformation et du désir. Par conséquent, l’horreur psychologique devient un miroir de l’instabilité émotionnelle. Elle exorcise l’angoisse, rend visible ce qui ronge.
Le Body Horror : l’horreur de la chair
Avec David Cronenberg ou Julia Ducournau, le Body Horror s’intéresse au corps en mutation : cicatrices, fluides, peau qui se tord. Pour l’autrice, ces films disent la vérité du corps féminin : celui qu’on juge, qu’on sexualise, qu’on redoute. Elle y voit une forme de libération : le droit de ne pas être belle, ni lisse, ni aimable. Le corps monstrueux est un corps libre. Le Body Horror nous renvoie à notre humanité même : celle du corps qui vieillit, qui saigne, qui se transforme.

Les bienfaits de l’horreur : la catharsis par la peur
L’idée centrale de Monstrueuse est lumineuse : l’horreur est bonne pour la santé mentale. En se confrontant à la peur dans un cadre sûr – un film, une salle obscure, un livre – on apprend à gérer l’angoisse du réel.
Cette catharsis n’est pas qu’un concept esthétique : c’est un outil de survie. Les films d’horreur nous rappellent qu’on peut affronter l’inacceptable, qu’il existe un après. Regarder un monstre triompher, c’est réhabiliter sa propre force.
Sommes-nous tous des monstres ?
C’est la question finale de l’essai. Pour Taous Merakchi, nous portons tous une part monstrueuse : rage, pulsion, honte, désir. Mais le vrai monstre n’est pas celui qui crie – c’est celui qui se tait. Être un monstre, c’est assumer sa différence, c’est refuser la normalisation. Loin du cliché de la bête, l’autrice dessine une figure émancipée : celle qui ose vivre hors du cadre.

Les films de chevet de Taous Merackchi
Pour conclure cet hymne à l’horreur, l’autrice partage ses sélections personnelles, offrant aux lecteurs des pistes pour explorer cet univers.
- Films doudous : ceux vers lesquels elle retourne inlassablement pour se sentir bien. On y trouve notamment Le Silence des agneaux, The Crow, et la trilogie Blade.
- Par où commencer ? : une sélection essentielle pour les néophytes, incluant des classiques comme Scream, The Thing, Alien, le huitième passager, ou des incontournables modernes comme Jennifer’s Body.
- Quelques pépites : des découvertes moins connues, mais tout aussi marquantes, comme Lake Mungo, Starry Eyes, ou American Mary.
Une filmographie qui reflète sa vision de l’horreur : sensorielle, viscérale, féminine.

Pourquoi lire Monstrueuse de Taous Merkchi ?
Monstrueuse de Taous Merakchi, c’est bien plus qu’un livre sur l’horreur. C’est une autobiographie émotionnelle, un essai féministe, et un manifeste artistique. L’autrice y prouve qu’on peut être érudite, vulnérable, drôle, et profondément humaine tout à la fois. Monstrueuse est une lecture essentielle pour comprendre comment le féminisme et l’horreur se rencontrent : dans la peur, la chair, la liberté.
Taous Merakchi – Monstrueuse, éditions la ville brûle, 224 pages, paru le 10 octobre 2025.

Avis
Monstrueuse de Taous Merakchi est un texte fort, nécessaire, et étrangement apaisant. Il montre que la peur n’est pas l’ennemie : elle est une porte vers la connaissance de soi. Et si, finalement, accepter nos monstres était la première étape vers la sérénité ?

