L’injuste nous plonge dans un face à face tendu et haletant entre une jeune journaliste et un homme qui a commis le pire.
L’injuste est un huis-clos sombre aux airs de thriller qui nous emmène dans l’antre du mal pour un duel entre un personnage historique méconnu que l’on surnommait « le banquier des nazis » et une jeune journaliste. Une pièce forte et troublante.
Un huis-clos glaçant
Nous sommes en 1993, dans le décor froid et sinistre d’un bunker, perdu dans une forêt suisse. C’est là qu’une jeune journaliste d’un quotidien israélien arrive pour interviewer un homme, ou plutôt le confronter à l’atrocité des actes qu’il a commis, ou tout du moins permis et soutenus, et pour lesquels il n’a jamais été inquiété, ni par la justice ni même par sa conscience.

Car cet homme à la biographie monstrueuse, c’est François Genou, un banquier suisse membre du parti nazi de Suisse, et qui fut détenteur des droits d’auteur d’Hitler et Goebbels jusqu’à sa mort en 1996. L’interview qui se déroule au crépuscule de sa vie prend alors rapidement la forme d’un duel entre ces deux êtres que tout oppose, et une tension s’installe qui vient rendre l’atmosphère de plus en plus glaciale.
Une confrontation éprouvante avec le mal
Des projections d’images d’archives commencent par poser le contexte. Celles d’un pays en guerre, puis de la poignée de main historique, symbole d’une paix durable envisagée, entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin sur la pelouse de la Maison-Blanche en 1993, lors de la signature des accords d’Olso. La jeune femme arrive alors et le questionne sans attendre sur son parcours, ses positions, ses activités nazies et terroristes. Son CV a de quoi laisser sans voix…

Elle tente de mettre à jour sa haine des juifs, de lui extorquer ne serait-ce que l’ombre d’un remord. Mais l’homme ne cède à rien, campé sur des positions qu’il compte bien défendre jusqu’à son dernier souffle. La mise en scène tout en sobriété de Julien Sibre, assisté par Valérie Alane, fait reposer toute l’intensité du moment sur les épaules de ces deux personnages qui s’affrontent à coups de répliques tranchantes. « Vous pensez que je suis mauvais ? Je suis pire. » Cette réplique de Genoud est, à elle seule, un assez bon résumé de ce qui se déroule alors sous nos yeux et de ce qu’incarne ce personnage.
L’injuste : Élodie Navarre bouscule Jacques Weber
Sans surprise, Jacques Weber impose son charisme et son talent dans ce rôle détestable d’un bout à l’autre, mais néanmoins intéressant dans la manière dont il témoigne du pouvoir de conviction de la rhétorique, et du danger qui réside au moins autant dans les idées elles-mêmes que dans la manière de les argumenter et de les défendre.
« Moi qui étais presque prêt à oublier que nous nous détestions ! »
Face à cet homme cynique et sans pitié, à la carrure menaçante, qui parle d’Hitler en évoquant « la pensée visionnaire d’un génie » et pour qui le changement ne peut passer que par le chaos, Élodie Navarre est la journaliste d’apparence fragile, mais qui fait face avec un certain aplomb. On perçoit et tente de ne rien dévoiler des émotions qu’il vient bousculer avec un plaisir non dissimulé. La comédienne est parfaite dans cette partition.

On la soupçonne d’ailleurs tout au long de la pièce de garder un atout dans sa manche pour parvenir ainsi à ne pas plancher devant tant de provocations, mais face à l’inflexibilité totale de son interlocuteur, on aurait bien du mal à dire lequel des deux finira par remporter cette partie d’échecs. Si l’on aurait aimé un peu plus de variations dans le rythme et l’intensité de l’intrigue, Alexandre Amiel, Yaël Berdugo, Jean-Philippe Daguerre et Alexis Kebbas qui co-signent cette création aux résonances troublantes avec l’actualité réussissent néanmoins à nous surprendre avec un twist final inattendu, qui questionne inévitablement et nous laisse troublés.
L’injuste, d’Alexandre Amiel, Yaël Berdugo, Jean-Philippe Daguerre et Alexis Kebbas, mise en scène Julien Sibre, avec Jacques Weber & Élodie Navarre, se joue jusqu’au 8 juin 2025 au Théâtre de la Renaissance.

Avis
La noirceur du propos de cette pièce et sa résonance avec l'actualité au Proche-Orient en font évidemment un moment de théâtre assez pesant. Elle invite toutefois à la réflexion et nous offre un face à face intense entre deux grands artistes investis de rôles complexes et pour le moins troublants.