L’arrivée d’un nouveau film de Paul Thomas Anderson est toujours un événement en soi. Le réalisateur de Phantom Thread et There Will Be Blood nous a habitué à aligner les œuvres magistrales et ce n’est pas Licorice Pizza qui déroge à la règle.
Retour en arrière vers le début des années 70, une époque qui continue de faire fantasmer les auteurs, en particulier ceux qui ont grandi à cette époque (ce qui est le cas de Paul Thomas Anderson). Alana est une jeune femme de 25 ans, un peu blasée par son quotidien et ses petits boulots. Elle rencontre Gary, un garçon de 15 ans très sûr de lui et disposant d’un joli capital grâce à sa carrière d’enfant star. Du fait de la différence d’âge, une relation amoureuse ambiguë se développe entre eux.
Mise en scène stratosphérique pour une comédie romantique
Au fond, c’est un retour aux sources pour Anderson, Licorice possède de fortes similitudes avec Punch-Drunk Love (une comédie romantique trop peu connue dans sa carrière) et Boogie Nights. Avec l’expérience, sa mise en scène – déjà épatante à l’époque – atteint des sommets. Sa caméra virevolte avec une facilité déconcertante, entrainant le spectateur avec lui dans le tourbillon de la vie des années 70 à Los Angeles. Une des grandes caractéristiques d’Anderson, qu’on va abréger par l’affectueux « PTA » pour le restant de la critique, est d’insuffler de la vie à ses personnages. Certes, il propose une œuvre brillante visuellement, mais la réalisation sert l’histoire et ses protagonistes. Elle donne également le panache, le rythme, l’empathie nécessaire pour vivre un tel film comme il se doit : totalement impliqué du début à la fin.
PTA est souvent comparé à des grands cinéastes perfectionnistes tel que Stanley Kubrick ou Robert Altman et ce à raison. De la même manière que ces derniers, il apporte son sens aiguisé du détail et le savoir-faire de son équipe à tous les niveaux. Entre la splendide photographie par Michael Bauman et le cinéaste en personne, la composition musicale impeccable de son partenaire depuis There Will Be Blood, Jonny Greenwood (guitariste de Radiohead), sans oublier la précision sans pareil du montage où PTA montre tout l’art de savoir capter toute la complexité du jeu de ses acteurs.
Cela fait de Licorice Pizza est une comédie romantique qui ne ressemble à aucune autre. Évitant les principaux écueils d’un genre sur-exploité qui a tendance à garder la même structure de film en film, PTA exploite ces codes pour en tirer une œuvre plus humaine et moins rigide dans son écriture. Parfois, cette écriture inspirée a ses défauts avec par moment un rythme qui s’essouffle quelque peu. Cela ne retire en rien les qualités scénaristiques de l’œuvre et c’est bien là la seule véritable critique qu’on puisse lui faire.
Un duo d’acteurs splendide et des stars en caméo
Un film qui tourne autant autour de la relation entre ses deux personnages principaux s’écroule à l’instant où l’alchimie ne passe pas entre-eux (ou si le jeu fait défaut). On est loin d’avoir ces problèmes dans le Licorice… Bien au contraire, Alana Haim et Cooper Hoffman sont remarquables : pétillants et d’un naturel déconcertant, ils semblent habités par leurs rôles. En passant, c’est aussi l’occasion pour PTA de rendre hommage à Phillip Seymour Hoffmann, décédé il y a quelques années et acteur fétiche du cinéaste, par la présence de son fils qui joue Gary. Ce choix rend d’autant plus touchant le film dans sa globalité et on ne peut qu’être mélancolique au souvenir de cet immense acteur.
Le long-métrage est une quête existentielle et comme toute bonne quête existentielle, on y fait des rencontres qui font évoluer le point de vue des personnages. C’est sans aucun doute un des aspects les plus croustillants de Licorice Pizza avec de nombreux seconds couteaux de premier plan qui ponctuent la narration de l’œuvre. En tête, on découvre Sean Penn et Tom Waits en vieux briscards complètement fous. Tout aussi taré, Bradley Cooper interprète avec beaucoup d’entrain un acteur sociopathe, mais surtout très ridicule. Cela ne s’arrête pas là et on découvre de nombreux personnages savoureux dont je vous laisse, mes chers lecteurs, le plaisir de découvrir par vous-même.
PTA est un cinéaste au final assez rare qui a la chance dans un système de plus en plus standardisé d’avoir sa petite niche créative où il fait ce qu’il veut. Peu de cinéastes peuvent se targuer d’avoir cette liberté. Licorice Pizza est un grand film, car c’est une œuvre de passion et sans entrave. Espérons que PTA va continuer de trouver son public tout au long de sa riche carrière afin de garder ce contrôle total sur son œuvre, car c’est tout simplement un bol d’air frais à chaque fois et on a bien besoin de respirer en ces temps compliqués.