Leurs Enfants après eux est l’adaptation du succès littéraire éponyme de Nicolas Mathieu. En résulte une fresque générationnelle servie d’une mise en scène maîtrisée des frères Boukherma (Teddy, L’Année du Requin) et d’un casting inspiré !
Prix Goncourt de 2018, Leurs Enfants après eux fut immédiatement un succès populaire et dans le viseur des producteurs de cinéma. Gilles Lellouche (Le Grand Bain) a mis de côté le projet au profit de L’Amour Ouf, c’est donc aux frères Boukherma (Teddy, L’Année du Requin) qu’incombe la tâche d’encapsuler les 400 pages du roman de Nicolas Mathieu en un long-métrage de 2h30.
Vie à l’Est d’Eden
Une tache loin d’être aisée, étant donné le projet : Leurs Enfants après eux nous mène dans la ville d’Heillange, en Mosèle. C’est l’été 1992, et Anthony (Paul Kircher) s’ennuie ferme. Cet adolescent de quatorze va néanmoins rencontrer la belle Steph (Angelina Woreth), et braver l’interdit pour accéder à une soirée prisée : voler la moto Yamaha YZ de son père colérique (Gilles Lellouche).
Mais tandis qu’il rencontrera Hacine (Sayyid El Ayami) et que la moto sera volée le soir-même, c’est toute la vie d’Anthony qui basculera. Leurs Enfants après eux nous invite donc à travers les années comment ces destins divers de personnages s’entremêle, parfois un court instant, tout en laissant une empreinte durable sur chacun.
Le roman de base était marqué par un regard fort sur cette France des lisières, dominée par la classe ouvrière. Et là est sans doute la grande force de cette adaptation par les Boukherma, où l’ensemble du récit est à l’image de ses personnages : entouré et dominé par les hauts fourneaux des usines sidérurgiques en pleine crise.
Prison socio-familiale
Aucune échappatoire ne semble possible pour le quidam, tandis que Les Enfants après eux aborde frontalement la notion de déterminisme social, tel un « hood movie ». C’est dans ce cadre sans réel avenir, où Steph rêve de la capitale pour ses études supérieures et où Hacine semble avoir comme seule source de richesse le trafic illégal, que l’on suivra les errements existentiels d’Anthony.
Telle une grande chronique adolescence, le passage de l’enfance à l’âge adulte sera essentiellement concentrée sur 4 étés (92, 94, 96 et 98 au moment de la Coupe du Monde). Un moyen astucieux d’user de l’ellipse et de mettre un coup de projecteur parallèle sur le temps qui passe (et la maturité progressivement acquise des personnages) tout en accentuant le caractère figé de cette ville de l’Est. L’enfermement géographique est une dimension inédite par rapport au bouquin, et sans nul doute le choix qui conditionne tout le reste !
Une chronique qui bénéficiait déjà d’une base dramaturgique solide, mais la mise en scène des frères Boukherma s’adapte au récit, abandonnant leur patine stylisée pour proposer une caméra plus fiévreuse et centrée sur les corps. On pense étonnamment au cinéma des années 70 voire 80, notamment au À Bout de course de Sidney Lumet dans cette capacité à retranscrire une fureur de vivre dans un environnement qui aurait tout à devenir âpre à l’écran.
Fresque anti-romantique
Pourtant, Leurs Enfants après eux use des silences et de l’ennui des personnages à rebrousse-poils pour y insuffler une réelle tendresse et une chaleur surprenante malgré un caractère régulièrement désenchanté. En effet, la relation entre Anthony et Steph est sans doute la plus équivoque, tel un désir adolescent avant tout fantasmé en-dessous de la ceinture (« Pourquoi tu veux sortir avec moi ? » et « Je sais pas, t’es belle »), mais régulièrement contrariée tel un coït interrompu.
Mais outre les errements amoureux, c’est bien la famille qui est au centre de Leurs Enfants après eux, ainsi qu’une violence sous-jacente. Outre une Ludivine Sagnier parfaite en matriarche à bout de course (il fallait la replacer), c’est bien Gilles Lellouche qui brille chez les seconds rôles en pater familias combattant ses propres démons encapsulés en bouteille, jusque dans une déchirante séquence nocturne en montage alterné lors d’un feu d’artifices.
On regrettera cependant que le personnage d’Hacine (impeccablement incarné ceci dit) soit un peu trop rapidement mis de côté après sa rivalité établie avec Anthony (exit toute exploration de rédemption ou exploration de sa vie privée à mi-parcours, la narration préférant tout bazarder de manière elliptique). Un goût de trop peu en terme d’ampleur sur 2h30 ? Peut-être bien malgré le beau travail synthétique orchestré.
Et alors que le spectateur se voit bercé par les tubes des 90’s, et que Leurs Enfants après eux dresse en filigrane une mutation sociale vers la France d’aujourd’hui, il y a une constante : Paul Kircher (Le Règne Animal) prouve à nouveau qu’il est réellement une des étoiles montantes du cinéma français, pour véhiculer un personnage sensible et rebelle dont la carapace éclora jusque dans un ultime virage. Le parfait avatar de cette adaptation réussie donc !
Leurs Enfants après eux sortira au cinéma le 4 décembre 2024
avis
Leurs Enfants après eux troque romantisme adolescent et coming-of-age policé par une enivrante et tumultueuse captation du déterminisme social. En résulte une adaptation réussie malgré quelques personnages secondaires un brin sacrifiés, avant tout sublimée par une mise en scène fiévreuse des frères Boukherma et l'interprétation sans faille de son casting de talent. La fureur de vivre française en somme !