L’arrivée d’un nouveau film de David Cronenberg (La Mouche, Crash, A History of Violence…) est toujours une bonne nouvelle. Présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 2024, Les Linceuls est un film un peu particulier pour le cinéaste dans lequel il parle de la perte de l’être aimé – ce qu’il a lui-même vécu en 2017 avec la mort de sa femme.
Karsh (Vincent Cassel) a une entreprise pas comme les autres. Suite au décès de sa compagne (Diane Kruger), il a fondé une société de cimetières connectés où les familles peuvent voir en direct sur un écran le corps du membre enterré. Pour cela, ils sont enveloppés par un linceul qui permet d’avoir une vue 3D de la dépouille en décomposition. Sympa, non ?
Ce scénario quelque peu macabre respire le style « cronenbergien », mais à cela le cinéaste a ajouté la dimension personnelle et un humour noir omniprésent pour faire passer la pilule. C’est aussi probablement pour lui un moyen de créer une distance nécessaire pour traiter un sujet trop près de lui.
Thématiquement passionnant
Pour incarner d’une certaine manière son double à l’écran, il a choisi Vincent Cassel – avec qui il a déjà collaboré dans les Promesses de l’ombre en 2007 – qui dévoile un personnage complexe en proie à ses démons. Comment se reconstruire après la mort de quelqu’un qui fait partie de notre personnalité ? Physiquement, il est solitaire et ne parvient pas à nouer de nouvelles relations. Mentalement, il est perdu entre rêve et réalité, dévoré par une forme de culpabilité qui se mue en complotisme. Autour de lui, sa belle-sœur (Diane Kruger) et son beau-frère (Guy Pearce) incarnent différentes facettes de son univers. Indéniablement, il y a de l’idée dans ce scénario et de nombreuses riches thématiques à approfondir, ce que David Cronenberg fait plus ou moins bien.
Délit de bavardage
La carrière de David Cronenberg est riche en films très visuels et sensoriels. À la sortie de Crash, on sent la sueur. Lors d’une séquence d’une extrême violence dans les Promesses de l’ombre, on sent les coups de couteau dans notre peau. Cette capacité à rendre sa mise en scène organique a fait de Cronenberg le grand cinéaste qu’il est. Néanmoins, depuis plusieurs films maintenant (Maps to the Stars), son style s’avère bien moins viscéral. Les Linceuls en fait les frais avec une réalisation aussi rigide que les cadavres dans leurs linceuls. Elle s’avère beaucoup trop propre et clinique, excepté à certains moments où la dimension organique réussit à ressurgir. Hélas, c’est rare !
En plus de l’appauvrissement de son langage visuel, David Cronenberg devient bavard avec l’âge. Très, très bavard. Le film est une série de longs dialogues avec un étrange flottement dans la rythmique – difficile de dire si c’est volontaire ou non. Il développe de nombreuses thématiques passionnantes, mais il se perd dans le sujet du complotisme qui est traité de manière maladroite et rigide. De même, il propose une réflexion sur la technologie (IA, vidéos 3D…) qui vient se greffer à l’ensemble et qui manque cruellement d’une mise en scène inspirée pour emballer le tout dans une narration qui fait sens.
Les Linceuls se révèle donc particulièrement paradoxal : c’est probablement le long-métrage le plus intéressant de Cronenberg d’un point de vue thématique depuis de nombreuses années. Il apporte une expérience qui lui est propre et comme tout véritable artiste, il l’incorpore à son art. Néanmoins, c’est aussi un de ses plus faibles en termes de mise en scène et narration, s’empêtrant dans un faux rythme cadavérique et des dialogues terriblement verbeux et ampoulés. Dommage !
Les Linceuls sort le 29 janvier 2025 au cinéma. Retrouvez toutes nos critiques du Festival de Cannes 2024 ici.
Avis
Du fait de ses thématiques passionnantes où on ressent le vécu du cinéaste, Les Linceuls est une œuvre pertinente. Sauf que le légendaire cinéaste canadien n'a plus la même capacité visuelle à faire ressentir viscéralement ses histoires. Il faut dire qu'il devenu bavard, beaucoup trop bavard...