Les colons déporte le western dans les terres les plus méridionales d’Amérique. Le Chili dévoile ses heures les plus sombres.
Les colons est le premier long métrage du réalisateur chilien Felipe Gàlvez. Cette coproduction internationale (Chili, Argentine, France, Taïwan, Royaume-Uni, Danemark, Suède, Allemagne) investit un pan volontairement mis sous silence de l’histoire chilienne. Les colons prennent possession du pays en 1557. Puis, en 1901, époque où se déroule le film, les forces espagnoles et portugaises ont la mainmise totale sur le pays. L’intrigue se déroule en Terre de feu, un archipel composé de milliers d’îles à l’extrême sud de l’Amérique. À mi-chemin entre la fiction et la reconstitution historique, il met en scène des individus ayant réellement existé, comme José Menéndez et l’Écossais Alexander McLennan. Le film, sorti en salles en décembre 2023, est arrivé en DVD, Blu-Ray et VOD ce 21 mai. Les versions physiques se dotent d’un entretien bonus de 27 minutes avec Felipe Gàlvez et la scénariste Antonia Girardi.
Terres esthétiques
Les colons frappe d’abord par son aspect visuel singulier. Le format de l’image dénote du cinémascope habituel du western, comme du bon vieux 4/3. En effet, le film se déploie en 3/2, un ratio à mi-chemin entre le 4/3 et le 16/9. Ce choix inhabituel était le plus judicieux pour retranscrit l’identité des lieux. Les montagnes andines en arrière-plan se montrent alors de leurs pieds jusqu’à leur sommet, devenant ainsi elles-mêmes témoins de ces atrocités. L’image joue aussi sur les couleurs pour donner une identité unique à ce long-métrage. Le réalisateur a apposé des filtres en post-production pour que ses images ressemblent à des autochromes. Comme ce procédé photographique du début du XXe siècle, plus on se rapproche des angles, plus les couleurs bavent et sont dénaturées. Ces effets sont utilisés à bonne dose et permettent au film de cultiver un esthétisme et quelques scènes mémorables.
Ces effets ne sont pas là pour renforcer la portée de quelconque retournement de situation, car il n’y a pas vraiment de scénario. Le film suit un fil conducteur qui n’est pas le plus communément admis, mais qui sied parfaitement à son sujet. D’abord, dans ce terrain de chasse, il y a la violence physique, incarnée par les opérations de tueries d’Alexander McLennan et ses hommes. Puis, prend place une violence psychologique, que Segundo, métis, subit de plein fouet. Enfin, la violence symbolique clôt ce portrait de la barbarie en trois actes. Les personnages illustrent alors cette violence, plutôt qu’ils n’évoluent pour eux-mêmes et pour raconter leur histoire.
La colonisation à l’heure de rendre des comptes
Le film se rythme par les regards, la musique, ou des plans sur les animaux. Il fait souvent l’économie de dialogues en se résumant à des échanges brefs, mais cinglants. Tandis que quelques notes de percussions inquiétantes ou des gros plans sur des animaux font transition entre deux actes. Ces procédés peinent parfois à donner pleinement vie au film, qui composera avec quelques moments de flottement. Les sous-entendus ne se suffisent parfois pas à eux-mêmes et il aurait gagné à en dire un peu plus. Notamment pour son public international, pas nécessairement familier de tous les affres du Chili contemporain. Le film se montre frileux dans sa contextualisation; les puissances colonisatrices en action sont seulement présentées par bribes. Ce portrait lacunaire prépare hélas mal à la dernière partie traitant d’enjeux géopolitiques.
Malgré tout, cette blessure dans l’histoire chilienne apparait encore béante dans Les colons. Le passé du Chili se raconte aujourd’hui dans sa totalité et, surtout, dans toute sa cruauté. À la fois dans son script et dans sa réalisation, le produit finit suinte la colère et l’impuissance suscitées face à cette agression. Les scènes de violence crue, des oreilles coupées en très gros plan ou des individus tués à bout portant, prennent à partie le spectateurs. Le visionnage des Colons ne sera pas passif. Raconter l’histoire du point de vue des colonisateurs lui permet de décupler la brutalité de leurs actes.
Le cinéma face à l’histoire
Les colons n’est pas un western conventionnel. S’il en reprend quelques caractéristiques, comme son travail raffiné sur l’image, il l’adapte grandement aux traumatismes de l’histoire chilienne. Cette fresque de la violence coloniale se passe alors de scénario traditionnel et de précisions historiques. Les personnages se veulent allégories de la cruauté, de la souffrance, du refus et pléthore d’autres passions très négatives. Cette foultitude d’émotions en susciteront tout autant lors du visionnage. Les colons dresse un portrait pesant, bien que par moment un peu engourdi, de l’impérialisme européen.
Le film Les colons, sorti en décembre 2023, est arrivé en Blu-Ray, DVD et VOD le 21 mai 2024.
Avis
Les colons investit le genre du western pour jouer avec les couleurs et le format de l'image. Les procédés réussis du 3/2 et de l'autochrome confèrent une identité affirmée et séduisante à ce premier long métrage de Felipe Gàlvez. La colonisation y est ainsi dépeinte sans filtre aucun, la violence s'y exerce sous toutes ses formes.