Le poids du mensonge s’empare de l’affaire Romand pour nous entrainer dans une sorte de thriller hitchcockien à l’humour noir et grinçant.
Le poids du mensonge nous replonge dans l’une des affaires criminelles les plus incroyables de l’Histoire. En effet, après avoir menti pendant 18 ans à ses proches quant à ses activités, se prétendant médecin et chercheur à l’OMS, et vivant de sommes d’argents escroquées à son entourage, en 1993, Jean-Claude Roman assassinait sa femme, ses deux enfants et ses parents, avant de tenter de se donner la mort.
Un fait divers déjà abordé au cinéma dans le film de Nicole Garcia, L’Adversaire, adapté du roman d’Emmanuel Carrère, avec Daniel Auteuil, François Berléand & François Cluzet. Mich Hooper en propose ici un éclairage personnel à travers un thriller glaçant et captivant malgré quelques longueurs.
L’instant où tout s’écroule
C’est par un coup de feu que s’ouvre la pièce. Dans un calme sinistre, un homme sort alors de sa maison, une carabine à la main. Connaissant l’affaire criminelle dont il question, nous devinons le drame qui vient de se jouer à l’intérieur. Puis, tandis qu’il est assis dans son jardin, visiblement sur le point de mettre fin à ses jours, Jean reçoit la visite de Marc, un vieil ami perturbé d’apprendre que sa femme le quitte. Enfin, un ami… Il faut le dire vite. Car les relations entre les deux hommes sont teintées de rancœurs, d’incompréhensions, d’absence et de zones d’ombres.
Et puis il y a Carole, la femme de Jean, qui « dort encore » prétend ce dernier. Et pour laquelle il semblerait que Marc ait eu quelques sentiments à l’époque de leurs études. Ainsi, entre les deux hommes, l’échange est des plus intrigants. D’autant que le comportement de Jean qui semble à la fois détaché et imperturbable devient rapidement angoissant. Et si nous comprenons le sens caché de certaines de ses paroles, comme lorsqu’il affirme être « libéré du poids du mensonge », pour Marc en revanche, la situation mettra plus de temps à s’éclaircir.
Le poids du mensonge et des non-dits
Nous remontons ensuite le temps jusqu’à la soirée de la veille, que les deux couples avaient passée ensemble. Là encore, tout y est étrange. La relation très froide au sein de chacun de deux couples, les allusions qui viennent semer de la tension, cette carabine fraîchement achetée par Jean… Mais aussi l’attitude lointaine et égarée de sa femme, les non-dits qui s’emparent de tous les échanges, l’hypocrisie qui s’invite… Il est aussi question de la mort « accidentelle » du père de Carole sur un toit tandis que Jean était à ses côtés. Sans parler de ces histoires d’argent que ce dernier invitait tous ses proches à lui confier pour de soi-disant « placements » en Suisse…
Bref, petit à petit, l’imposture semble être partout. Vraiment, quelle angoisse ! Le décor, très minimaliste, et le silence de fond où seuls quelques oiseaux se font entendre, ajoutent à cette atmosphère inquiétante. Et, si l’on a un peu de mal à croire aux relations amoureuses croisées qu’entretiennent leurs personnages les uns avec les autres, chacun.e de ces comédien.ne.s n’en est pas moins très convaincant.e dans son rôle.
À commencer par Julien Muller, qui incarne à merveille ce personnage perturbé et perturbant dont on n’aurait vraiment pas envie de croiser la route ! Anatole de Bodinat est lui aussi très convaincant dans le rôle de cet homme désabusé et envieux face au bilan qu’il tire de sa vie. Sophie Vonlanthen, qui incarne sa femme, apporte une touche d’humour à son personnage calculateur au tempérament affirmé. Et enfin, l’excellente Anne Coutureau, dont nous avions découvert le talent dans L’espèce humaine, un seule en scène puissant adapté de l’œuvre de Robert Antelme, est ici à la fois touchante et lumineuse. Elle incarne avec une belle profondeur cette épouse qui se questionne de plus en plus au sujet de son mari. Des doutes qui contribueront au drame qui s’ensuivra…
Quelques réserves…
Mais tout de même, quelques petites choses nous ont un peu dérangés… Et c’est surtout du côté de la mise en scène que ça se passe. Il y a déjà ce café que l’on demande, sert, redemande à plusieurs reprises… Jusqu’à dire qu’il est mauvais alors qu’à aucun moment personne ne porte une tasse (assurément vide) à ses lèvres. Nul doute que la pièce pourrait s’alléger de cet élément. Et puis, on se demande pourquoi certains personnages disparaissent parfois aussi longuement dans la maison, hormis pour permettre à la mise en scène d’offrir aux deux autres un temps d’échange seuls à seuls…
De manière générale, l’ensemble gagnerait à être légèrement raccourci pour un meilleur rythme, sans rien y perdre de la tension ambiante. Notamment en resserrant quelques dialogues qui s’étirent inutilement et finissent par tourner en rond. Particulièrement dans la première partie de la pièce où Marc se confie sur sa rupture soudaine.
Mais ces quelques réserves ne nous ont toutefois pas empêchés de passer un moment agréable et prenant. Car cette histoire reste fascinante. Et Mich Hooper parvient à y ajouter une part de mystère supplémentaire. Celle qui habite chacun.e de ces personnages et ne se dévoile jamais vraiment tout à fait. Part de mystère qui, finalement, habite aussi chacun.e de nous.
Le poids du mensonge, écriture et mise en scène Mich Hooper, avec Anne Coutureau, Anatole de Bodinat, Julien Muller & Sophie Vonlanthen, se joue du 24 août au 15 octobre 2023, les jeudis, vendredis et samedis à 21h et les dimanches à 17h, à La Manufacture des Abbesses.
Avis
Quelques longueurs et maladresses se glissent dans ce récit troublant, sans pour autant que l'on décroche tant le jeu des comédien.ne.s nous captive. Mich Hooper a imaginé les 4 personnages de cette pièce pour illustrer comment chacun résiste, à sa façon, aux pressions de notre société.