Le Marchand de Sable est le premier long-métrage de Steve Achiepo, avec Moussa Mansaly (Validé), Ophélie Bau (Mektoub my Love) ou encore Benoît Magimel (Pacifiction) au casting. Conjuguant codes du film de mafia et thématique sociale pertinente, cette jolie réussite aborde frontalement un sujet brûlant.
Steve Achiepo a beau avoir débuté comme acteur, c’est via son passé d’agent immobilier au début des années 2000 que se trouve le germe créatif de Le Marchand de Sable. Témoin de ventes privées d’immeuble et de discriminations, l’ambivalence morale inhérente au sujet du logement de populations précaires aura travaillé le réalisateur pour accoucher de son premier long-métrage, présenté au festival d’Angoulême !
S’ouvrant sur des images d’archives de 2011 pendant la crise ivoirienne Gbagbo-Ouattara, Le Marchand de Sable aborde frontalement le boom d’immigration qui en a découlé, ainsi que la problématique majeure du mal-logement. Sujet ô combien central et toujours d’actualité, abordé par le prisme d’une histoire familiale initialement, avant d’élargir intelligemment son propos.
Marchand de sommeil
Nous suivons donc Djo, père célibataire et ex-repris de justice. Ce livreur de colis en banlieue parisienne vit modestement chez sa mère en compagnie de sa fille, jusqu’au jour ou sa tante débarque chez eux. Accompagnée de ses trois enfants et ayant fui la guerre, cette dernière n’a malheureusement nulle part où dormir.
Motivée par sa détresse et son lien affectif envers sa famille, Djo va ainsi lui trouver un local pour loger temporairement. Mais devant la demande croissante et l’afflux d’immigrés, ce père de famille va basculer dans l’illégalité auprès de partenaires véreux, et devenir un marchand de sommeil.
Il aurait été facile de tomber dans tous les travers d’un cinéma militant, pompier et caricatural des maux de société : Le Marchand de Sable n’est pas de ceux-là ! Débutant son film par une fête d’anniversaire, Steve Achiepo introduit son récit à hauteur d’homme et au plus près de ses personnages. L’unité familiale est posée, puis court-circuitée par l’irruption de la problématique majeure : la famille à loger dans quelques mètres carré, et de nouveaux arrivants de plus en plus pressants.
Logement sans issues
Sans pathos ni traitement binaire, Le Marchand de Sable pourrait presque opérer un pont narratif avec un certain Les Misérables (toute proportion gardée et sur des topics différents) via cette manière de ne jamais pointer du doigt qui que ce soit excepté un système saturé et sujets aux dérives orchestrées par appât du gain.
Une immigration certes prégnante, mais justifiée par le conflit ivoirien. Des familles qui profitent de la gentillesse de leur hôte, mais qui n’ont aucun autre moyen de logement. Un bon samaritain qui y voit un moyen d’arrondir les fins de mois, mais qui désire avant tout aider son prochain. Bref, les dualités d’intentions se bousculent constamment, au service de la dramaturgie globale plutôt maîtrisée.
Certes, le métrage aurait pu aller plus loin dans l’exploration des centres d’aide au logement (le réalisateur y trouve même un petit rôle) avec une mise en scène plus ample, mais Le Marchand de Sable parvient à asséner une poignée de scènes coup de poing, et ce sans artifice. Outre l’abord (fugace) du commerce sexuel de réfugiées, on retiendra ces séquences de familles vivant dans la misère la plus totale : parquées comme des bêtes dans leur propre monde souterrain ou évacuées comme des malpropres via des images fortement évocatrices des grands maux du XXe siècle, le film place son curseur avec justesse afin d’interpeller le spectateur !
Drame social sans manichéisme
Le réalisateur se permet même quelques irruptions tordant le réel (les plans centrés sur Augustine), annonciateurs d’un drame inéluctable à venir. Il faut bien sûr saluer le casting, de Aïssa Maïga aux apparitions de Benoit Magimel. On retiendra avant tout Moussa Mansaly et Ophélie Bau, en ex-couple toujours lié par leur obligation parentale, et dont les rôles opèrent tous deux dans le même but mais de part et d’autre de la légalité.
Le premier rompt son image de costaud au regard d’acier pour amener une fragilité certaine, tandis que la seconde inonde chacun de ses apparitions par un naturel et un charme désarmants (on aurait apprécié que son rôle soit moins périphérique dans la seconde partie ceci dit). Bref, l’authenticité reste de mise, mais Steve Achiepo n’oublie pas de faire du cinéma. Celui qui interpelle le cœur, retourne un peu l’estomac par instants, mais s’adresse aussi à notre cerveau pour mieux questionner les maux de de notre société.
Le Marchand de Sable est sorti au cinéma le 15 février 2023
avis
Le Marchand de Sable est un premier long-métrage pertinent pour Steve Achiepo : carré, humain, parfois même révoltant, et porté par un bon casting. Un sujet brûlant bien cerné et traité avec humilité. Un bon premier film tout simplement.