Le complexe de Dieu est l’histoire vraie d’un jeune comédien qui se trouve confronté à son passé d’enfant abusé.
Le complexe de Dieu nous parle d’abus sexuels, de secrets de famille, de théâtre et de résilience. Une pièce tristement d’actualité, abordée avec clairvoyance et sensibilité par d’excellents comédiens, et probablement celle qui nous a le plus émus depuis un moment. Une très jolie découverte.
« Les drames de l’enfance nous changent, à nous de faire en sorte qu’ils ne nous définissent pas. »
Tandis qu’il répète Le Tartuffe de Molière avec sa meilleure amie Céline, Matthias bloque sur une scène. Il ne parvient pas à lui donner la dimension charnelle souhaitée par le metteur en scène. Céline l’encourage à aller voir un psy pour l’aider à se libérer de ce qui semble lui peser et l’empêche de se sentir pleinement libre. Mais le jeune homme décide d’affronter seul ses démons et de sortir enfin du silence en révélant les abus sexuels qu’il a subis de la part d’un curé entre ses 12 et ses 14 ans…
Un thème délicat abordé avec intelligence
Pas toujours simple de choisir parmi la ribambelle de propositions théâtrales que nous offre la capitale. Alors c’est agréable quand, parfois, le choix se fait de manière si instinctive, si évidente. Il faut croire que nous avions pressenti les qualités de cette pièce d’Antony Puiraveaud, inspirée d’une histoire vraie. Car, c’est bien simple : tout nous a séduits ! Et l’émotion telle que nous l’espérons toujours – et qui fait souvent un peu défaut – était cette fois, bel et bien au rendez-vous.
Le thème était pourtant risqué. Mais Le complexe de Dieu échappe haut la main à tout ce que l’on pourrait craindre d’un spectacle sur les violences sexuelles au sein de l’Église. Ici, pas de voyeurisme, de caricature, ni d’atmosphère irrespirable. Au contraire, c’est avec beaucoup de subtilité et de sensibilité que nous plongeons dans cette bouleversante histoire de vie qui fait écho à tant d’autres.
Des personnages incarnés avec brio
Ce qui nous a immédiatement conquis, c’est cette belle complicité entre Matthias et Céline ; un duo interprété le soir de notre venue par une Léonie Duédal solaire et un Théo Dusoulié épatant – tant dans son rôle de comédien adulte que dans celui de l’adolescent abusé. Deux excellents comédiens que l’on a du mal à ne pas imaginer aussi proches dans la vie tant leur jeu est bluffant de naturel. Ce qui contribue d’ailleurs à nous les rendre si attachants.
Jean-Marc Coudert est tout aussi convaincant dans son rôle du prof de théâtre un peu provoc’ que dans celui, plus délicat, du père Damien, qu’il aborde avec ce qu’il faut de nuances. Quant à Anne-Cécile Crapie, elle est parfaite dans le rôle de cette mère qui nous maintient en équilibre instable entre le rire et la colère tant elle s’accroche à son déni et à un lourd secret qui s’effrite sous nos yeux. De quoi nourrir quelques échanges sarcastiques fort bien écrits avec Céline – qui tente de lui ouvrir les yeux – puis Théo qui la confronte à ses fantômes.
De la confiance à l’abus
Les ressorts classiques de l’emprise affective et de la perversion nous apparaissent clairement. En effet, ce père Damien est glaçant dans sa manière de tisser une toile plutôt qu’un lien avec ce garçon de douze ans envers lequel il fait figure d’autorité, profitant de la confiance parentale qui lui est accordée. Il valorise le jeune Matthias, se montre particulièrement affectueux, lui propose une place « très spéciale » dans sa chorale, loue sa maturité, son « avance sur les autres »…
Et on sent bien qu’il cherche ainsi à normaliser sa propre conduite, à s’en dédouaner, comme un violeur qui rejetterait la faute sur la jupe trop courte de sa victime. C’est évidemment écœurant. Et il est bien difficile de ne pas avoir le cœur qui se serre par moments. Mais Jean-Luc Voyeux parvient à s’emparer du propos avec finesse en attirant plus particulièrement l’attention sur le parcours intérieur de Matthias.
Un cheminement introspectif universel
Dans cette quête de soi, de vérité, les masques tombent peu à peu et les secrets volent en éclat. Le personnage de Matthias gagne en puissance à mesure qu’il se confronte à son passé et parvient à s’en extraire, à le transcender par le théâtre. Et l’émotion qu’il nous livre nous attrape le cœur à plusieurs reprises. Voilà précisément ce que l’on aime découvrir sur scène, et qui nous manque souvent : des instants où nous retenons notre souffle en même temps que nos larmes.
Pour autant, quelques instants de légèreté judicieusement placés et dosés empêchent la pièce de sombrer dans le pathos. Et c’est un message fort et inspirant de résilience qui nous est transmis. D’autant que dans sa construction même, la pièce retranscrit habilement le parcours d’introspection. En effet, c’est avec beaucoup de fluidité et sans que le lien ne se rompt jamais vraiment entre elles que l’on passe d’une scène à l’autre, naviguant entre réalité et fiction, présent et passé, ombres et lumières. Une pièce à ne pas manquer.