La tempête est une adaptation musicale, épique et poétique du dernier chef-d’œuvre de Shakespeare.
La tempête nous entraîne dans le récit mouvementé et emprunt de magie d’une vengeance qui prend peu à peu le chemin du pardon.
Prospero, duc de Milan, est exilé sur une île déserte avec sa fille Miranda depuis douze ans, après avoir été trahi par son frère. Tandis que le navire de ce-dernier passe un jour à proximité, Prospero voit là l’occasion rêvée de se venger. Mais les choses tournent parfois bien mieux qu’on l’imagine… Accrochez-vous bien à vos fauteuils, car le vent et le talent soufflent fort dans cette adaptation captivante… qui nous a toutefois laissé quelques frustrations.
Avis de tempête sur la Huchette !
Des draps s’agitent, formant des vagues immenses auxquelles un bateau se heurte violemment. La mer se déchaîne, la tempête sévit. Son énergie s’empare de la scène. On s’y croirait presque tant la scénographie est ingénieuse. Le naufrage est inévitable. La météo, pourtant, n’y est pour rien… En effet, ce déchaînement des éléments est l’œuvre de Prospero qui, avec la complicité d’Ariel, esprit du vent, souhaite ainsi obtenir sa vengeance en faisant échouer le navire de son frère…
« L’enfer est vide. Tous les démons sont ici. »
C’est sur l’île que nous nous retrouvons alors. Une île pas tout à fait déserte d’ailleurs puisqu’en plus de Prospero, sa fille Miranda et Ariel, on y rencontre aussi Caliban, le monstrueux esclave de Prospero, ainsi que Stéphano, l’ivrogne, et Ferdinand, tout juste rescapé. Les scènes s’enchaînent avec beaucoup de fluidité et l’on est parfois subjugué par la vitesse et la précision avec laquelle Marion Préïté et Ethan Oliel, qui incarnent chacun plusieurs rôles très différents, passent de l’un à un autre.
Du grand et beau spectacle
Cette adaptation donne littéralement vie à l’œuvre de Shakespeare. On est captivé d’un bout à l’autre par la qualité et l’intensité de jeu de ces trois comédien(ne)s, par ce juste équilibre trouvé entre réel et fantaisie, classique et burlesque, tragédie et comédie. Et aussi, bien sûr, par le dynamisme et la beauté de la mise en scène du talentueux Emmanuel Besnault, faite sur mesure pour la petite scène du théâtre de la Huchette, et qui nous plonge dans une atmosphère onirique. Une sensation que viennent d’ailleurs renforcer les masques portés par certains des personnages.
Le tout, drapé de poésie et enrobé de la création sonore de Jean Galmiche, nous balade entre l’ordinaire et le merveilleux. Ainsi, la musique vient çà et là glisser des notes de poésie au milieu du tumulte. Beaucoup top peu en réalité, car ces moments sont célestes. Notamment lorsque la voix cristalline de Marion Préïté prêtée à l’esprit du vent s’élève… En effet, par quelques notes à peine expirées elle nous transporte dans un ailleurs duquel on ne vous cache pas que l’on n’a que très moyennement envie de revenir ! De purs instants de grâce qui nous hypnotisent.
Le talent puissance 3 !
La comédienne nous séduit tout autant par le charme et la grande sincérité de son interprétation. Aussi convaincante en Ariel qu’en Stéphano, elle est surtout une merveilleuse Miranda. Et c’est notre cœur qui chavire lors de ce coup de foudre providentiel entre la jeune femme et Ferdinand. Une rencontre de deux tendresses qui suspend le temps et inonde soudain la scène d’une douceur à laquelle on s’abreuve.
Il faut dire qu’Ethan Oliel incarne ici avec une passion et un abandon total un rôle qui lui va à merveille et que nous lui avions déjà découvert dans l’excellente adaptation de Boris Vian, L’écume des jours, où il était un Colin bouleversant : celui de l’amoureux transi. Et l’on est tellement loin de son interprétation pleine d’excentricité, parfois presque animale, et tout aussi convaincante du rôle de Caliban, que l’on se demande par moments s’il s’agit bien du même comédien !
« Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves. »
Last but not the least, Jérôme Pradon est quant à lui un Prospero charismatique et tout en ambivalence. Tour à tour redoutablement manipulateur et sensiblement humain, ce personnage laisse entrevoir une profondeur qui le rend énigmatique. Vous l’aurez compris, cette distribution est un régal ! Leur jeu à tous les trois est solide, très expressif et d’une grande finesse.
Navigation en eaux un peu troubles…
Il n’est jamais évident de rendre l’intégralité d’une œuvre de Shakespeare en un temps si court, de permettre aux spectateurs de ne rien manquer sans pouvoir tout leur montrer. Et c’est certainement là le seul point faible de cette pièce. En effet, si la connaissance de l’histoire permet certainement de combler les manques dû à certains choix de découpage, pour qui découvre pour la première fois l’histoire de La tempête il manque des clés de compréhension. Ce fut donc notre cas…
Ainsi, on ne saisit pas bien les enjeux qui animent Prospero, et le cheminement qu’il opère depuis son désir de vengeance jusqu’au pardon est un peu flou. De la même manière, le rôle que jouent certains personnages ou encore la nature et l’origine des liens qui les unissent nous échappent. Si bien que l’intérêt de la pièce tend finalement à se refermer sur l’histoire d’amour naissante entre Fernando et Miranda. Ce qui est un peu frustrant…
Car, si l’on sort du théâtre assez conquis par ce à quoi l’on vient d’assister (et comment ne pas l’être !), on sent néanmoins que l’on est passé à côté de quelque chose, que cette tempête aurait pu nous secouer encore plus fort. Le bon côté, c’est que cela nous aura donné envie d’aller nous intéresser davantage à cette œuvre. Et l’autre bon côté, c’est que nous y aurons (re)découvert des comédien(ne)s et un metteur en scène de talent que nous ne manquerons pas de garder à l’œil !
La tempête, de William Shakespeare, adaptation et mise en scène d’Emmanuel Besnault, avec Jérôme Pradon, Marion Préïté & Ethan Oliel, se joue du mardi au samedi à 21h10 au Théâtre de la Huchette.
Avis
On se laisse volontiers embarquer dans cette œuvre où s'entremêlent les genres et où les humains côtoient les créatures divines et monstrueuses. Une approche intéressante de la dernière pièce du dramaturge, à compléter avec sa lecture pour en saisir toute l'essence.