La Proie d’une ombre voit David Bruckner aborder le deuil pour la seconde fois après le très fade Le Rituel. Injustement passé inaperçu, le long-métrage est pourtant un thriller funeste et élégant qui mérite volontiers qu’on s’y perde.
La Proie d’une ombre poursuit donc le thème du deuil, précédemment abordé par David Bruckner dans le très longuet Le Rituel, disponible sur Netflix. Présenté au Festival de Sundance 2020, où le film a reçu des critiques positives, confirmant au passage le choix de confier au metteur en scène le retour au cinéma d’une certaine franchise nommée Hellraiser, le long-métrage porté par la solide interprétation de Rebecca Hall n’a cependant pas connu les honneurs du box-office où il est injustement sorti dans la plus grande des indifférences. Pourtant, La Proie d’une ombre poursuit ce qu’avait maladroitement entrepris le précédent long-métrage du réalisateur, avec toute l’élégance et le ton nécessaire pour délivrer un thriller horrifique à l’ambiance à la fois funeste et prenante.

Au-delà des sentiers battus
La Proie d’une ombre nous conte ainsi le deuil de Beth, professeure en proie au décès de son mari et à d’étranges cauchemars semblant lui révéler de lourds secrets. Porté par la superbe interprétation de Rebecca Hall, dont on avait depuis quelques années un peu oublié l’immense talent, le long-métrage de David Bruckner s’entend mettre en scène le douloureux cycle de la dépression, grâce à un climat mortifère intelligemment mené à rebours de la production horrifique actuelle. Parce que si le rythme léthargique du Rituel, son précédent long-métrage, reposait sur des fondations trop fragiles, La Proie d’une ombre l’utilise ici à bon escient pour instiller une ambiance feutrée qui nous happe instantanément.
La tentation était pourtant grande, d’une maison de campagne perdue au bord d’un lac et d’une femme esseulée empreinte de visions cauchemardesques, de tomber dans les jump-scare faciles et d’une conclusion toute faite à grands renforts de cris et de sang. Piège dans lequel ne tombera jamais La Proie d’un ombre, décomposant avec une grande intelligence les étapes du deuil et de la dépression autour du jeu tout en nuances de Rebecca Hall. Le scénario de Ben Collins et Luke Piotrowski (prochainement à l’œuvres sur celui du retour d’Hellraiser) fait ainsi le judicieux choix de prendre son temps et de creuser les plaies béantes d’une absence, jusqu’à l’enfermement progressif dans une bulle noire et tragique de secrets enfouis et d’un passé qu’il faut malgré tout effacer.

Entre deuil et folie
La Proie d’une ombre, après avoir brillamment travaillé ses protagonistes et son ambiance, peut ainsi enfin nous emmener explorer le trauma de son personnage principal. Ayant judicieusement proposé des pistes comme des bouées auxquelles se raccrocher, le programme peu reluisant au premier abord se mue ici en des visions maîtrisées et hypnotiques qui précipitent peu à peu dans l’enfer de la dépression et du refus d’idéalisation d’un mari disparu dont l’ombre se fait aussi libératrice que lourde à supporter. Entre deuil et pure folie, David Bruckner fait ainsi le choix de nous précipiter dans cet entre-deux aussi lourd qu’envoûtant, qui effacera toute raison au personnage comme au spectateur.
Le long-métrage nous mène ainsi peu à peu vers un final comme suspendu dans le temps, où toute la puissance de l’ambiance judicieusement instillée prend alors toute sa puissance évocatrice. D’un au-delà destructeur et de la tentation de stagner dans ces bulles étouffantes et dénuées de vie que sont le deuil et la dépression, et de maux qui dévorent plus qu’ils ne libèrent, La Proie d’une ombre filme ainsi cette parenthèse suspendue avec élégance et talent. Retenant perpétuellement son souffle pour pleinement envouter de son climat anxiogène et suspendu, le film de David Bruckner illustre ainsi à merveille ce labyrinthique deuil dans lequel il mérite volontiers que l’on s’y perde.