Cela faisait plus de 15 ans qu’un film d’animation avait été sélectionné en Compétition au Festival de Cannes. La plus précieuse des marchandises vient donc rompre ce hiatus : une production française réalisée par Michel Hazanavicius (OSS 117) aussi touchante qu’universelle !
La plus précieuse des marchandises est un projet qui puise avant tout sa source via le roman éponyme de Jean-Claude Grumberg. Publié en 2019, le livre raconte l’histoire d’un couple de bûcherons vivant simplement à l’écart des villes, au temps de la Seconde Guerre mondiale. Les journées sont ainsi rythmées par la collecte de fagots dans la forêt avoisinante, cette dernière étant traversée par une voie ferrée. Des trains de marchandises se déplacent quotidiennement, tandis que le couple de bûcherons va découvrir qu’il s’agit en réalité de déportés lorsqu’un bébé est jeté d’un wagon.
Tandis que des tensions apparaissent entre la femme (dont l’instinct maternel la pousse à protéger l’enfant) et son mari (voyant ce juif comme une abomination à abandonner tout de suite), le récit va s’intéresser en parallèle à la famille initiale du nourrisson. Un destin loin d’être aussi chaleureux les attends évidemment, à moins que la lumière soit possible au bout de tunnel plein d’obscurité ?
En développement depuis la sortie du livre, La plus précieuse des marchandises marque d’emblée via son parti-pris esthétique, et sa mise en scène laissant avant tout la place aux visuels plutôt qu’au verbe. Cela ne devrait pas nécessairement être étonnant venant d’un réalisateur ayant eu son Oscar en dirigeant un film muet (The Artist), mais cette première incursion de Michel Hazanavicius dans le cinéma d’animation appuie les facultés de conteur du réalisateur (beaucoup de séquences contemplatives ou illustrant le quotidien des personnages), autant que l’incroyable talent français au sein de cette industrie.
La plus précieuse des marchandises : animation cocorico
Loin de Pixar, Disney ou Dreamworks, la France a toujours été porte-étendard d’un cinéma d’animation universel capable d’aborder des sujets adultes plus ou moins frontalement. Des films de René Laloux à Persepolis en passant par les récents Le Sommet des Dieux ou Mars Express, les studios hexagonaux ont du talent, mais surtout une voix singulière : La plus précieuse des marchandises ne fait pas exception, alors que 3.0 Studio (La Tortue Rouge, Des Ours en Sicile) nous abreuve de magnifiques plans semblant tout droit sortis d’une BD franco-belge mixée à des estampes russes ou l’animation 2D des premiers Walt Disney.
On pourra d’ailleurs noter un soin important accordé à la lumière, proposant des plans crépusculaires du plus bel effet, ou bien d’incroyables effets de fumée (du jamais vu dans un film d’animation 2D) qui ne trahissent pourtant pas la noirceur globale de l’histoire. Malgré son setting réaliste, La plus précieuse des marchandises ne nommera jamais les divers éléments constitutifs de la Shoah (les juifs étant nommés « Sans-cœur »).
Conte intemporel
Pour toute personne ayant eu vent de ce qu’il s’est passée lors de la WW2, les camps, les SS et l’avancée russe ne tromperont personne sur les éléments funestes qui se déroulent en périphérie de La plus précieuse des marchandises. Mais c’est aussi la bonne idée du livre de Grumberg : conserver une dimension universelle de son récit de par sa nature de conte. Impression accentuée par la sublime voix de Jean-Louis Trintignant en narrateur (son ultime travail avant son décès) !
De quoi renforcer le caractère intemporel de La plus précieuse des marchandises et ses thématiques humanistes, tandis que le bûcheron (doublé par le très bon Grégory Gadebois) est le personnage subissant la plus belle évolution. D’abord acariâtre et intolérant, ce dernier devient de plus en plus humain et doux au contact de l’enfant, dans des séquences qui se passent souvent de mots pour montrer cette affection naissante.
Bref le terrain semble connu dans son message (jusque dans l’intégration d’une fascinante gueule cassée en tant qu’acolyte-surprise), avant que le film n’opère un virage beaucoup plus sinistre à mi-parcours, tandis que l’on assiste au devenir du père à Auschwitz. Des séquences mortifères où des visions cauchemardesques de charniers viennent contaminer l’apparent happy ending prévu, jusque dans une dimension tragique légèrement appuyée.
Car là sera le défaut de La plus précieuse des marchandises, son caractère facile et une dimension émotionnelle amoindrie par la musique d’Alexandre Desplat. Rien de profondément rédhibitoire, mais un surlignage d’intention contrastant avec le caractère désespéré de sa seconde partie. Heureusement, pas de quoi diminuer la portée de La plus précieuse des marchandises, dont on ressort plutôt exténué malgré ses 1h20 : preuve de sa réussite !
La plus précieuse des marchandises sortira au cinéma le 20 novembre 2024
avis
Avec La plus belle des marchandises, le conte de Michel Hazanavicius et Jean-Claude Grumberg prouve encore une fois le talent inépuisable des français dans le cinéma d'animation. En résulte une très belle proposition prenant des airs de classique instantané, seulement tiré en arrière par une structure scénaristique facile amoindrissant ses velléités émotionnelles. Une belle réussite tout de même, protée par la voix éternelle de Trintignant !