La mini-série Kalifat est disponible depuis le 18 mars dernier sur Netflix. Tout droit venue de Suède, celle-ci propose une bouleversante immersion dans la radicalisation religieuse, de l’embrigadement et le recrutement de nouvelles recrues à la planification d’attentats. Un récit policier haletant et passionnant.
Crééé par Wilhelm Behrman et réalisée par Goran Kapetanovic, Kalifat se lance sur un sujet scabreux : la radicalisation religieuse. Au travers de ces huit épisodes, le spectateur suit le parcours de Pervin, suédoise exilée en Syrie avec son mari pour rejoindre l’Etat Islamique, et de Suleikha, dite Sulle, qui se radicalise progressivement avec sa sœur et sa meilleure amie. Le scénario évite soigneusement les clichés abhérents qui circulent sur l’Islam et met l’accent sur la façon dont le sens de cette religion se fait détourner. Un tour de force risqué mais très réussi.
Les femmes à l’honneur
Les reportages sur les divers attentats commis au nom de Daesh montrent et dénoncent massivement des vidéos de jeunes hommes radicalisés. Le premier parti pris astucieux de cette série consiste à prendre le contrepied de cette version en favorisant des personnages principaux féminins. Bien-sûr, on n’échappe pas au jeune ex-tolard radicalisé en prison et perpétrant un attentat mais en dehors de cette histoire, le scénario met davantage l’accent sur Pervin, la jeune mère de famille terrorisée par le régime de l’Etat Islamique sous lequel elle vit et sur Sulle.
Cette dernière, aînée d’une famille immigrée en Suède, se sent exclue de la société dans laquelle elle vit. Scolarisée dans un établissement apparemment destiné à préparer les jeunes à intégrer la société suédoise, elle semble évoluer dans un cadre de vie propice à la radicalisation. Perte de repères, besoin de se raccrocher à des valeurs solides font de cette jeune fille une cible privilégiée. Repérée par l’un des membres de Daesh, elle se voit méthodiquement guidée dans son processus de radicalisation. Tandis que Pervin supplie une policière suédoise de la rapatrier et risque sa vie à chaque prise de contact, Sulle, sa sœur et sa meilleure amie rêvent de rejoindre Raqqa. Une situation tendue et extrêmement bien amenée.
Mise en image d’une machine bien huilée
En plus d’illustrer la radicalisation féminine moins médiatisée, la série s’efforce de décrire le fonctionnement interne de l’Etat Islamique. Si les détails et subtilités les plus complexes n’apparaissent pas, certains rouages de la mécanique Daesh sont clairement exposés. Les personnes-clé, passeurs, recruteurs, occupent tous des positions stratégiques. Placés directement au contact de proies faciles telles que Sulle, ces derniers semblent chacun chargés de missions bien précises.
Le Voyageur travaille à l’école, où il peut aborder à loisir ces jeunes déboussolés en quête d’eux-mêmes dans leur société d’adoption. La passeuse occupe un splendide appartement proche du lieu de vie des filles et tient un discours très étudié. La propagande matraquée dans les diverses vidéos envoyées aux jeunes cibles ne fait pas non plus dans la dentelle. On y répète encore et encore que le pays d’adoption voue une « haine » à tous les Musulmans et que ceux-ci doivent donc se rebeller. Une stratégie méticuleuse et qui fait que la série fonctionne.
Kalifat, l’art du format série magnifié par des acteurs impressionnants
Depuis sa sortie en Suède, Kalifat est devenue la série nationale la plus visionnée dans le pays. En plus de représenter un avertissement à la population, elle fait figure d’exemple dans le choix du format de série. Un long-métrage n’aurait peut-être pas autant permis de s’attacher aux protagonistes et de développer autant l’intrigue. Étalé sur huit épisodes, le scénario s’attarde impeccablement sur le processus qui s’opère en chaque personnage. La traque de Pervin, la radicalisation de Sulle… prennent du temps, ce qui renforce la crédibilité de la série.
Pour autant, pas un instant de répit ne demeure laissé au spectateur. Les scènes de tension extrême se font de plus en plus nombreuses, suivies de dialogues lourds de sens, de course poursuite ou de suspens. Au rythme parfaitement maîtrisé s’ajoutent des acteurs non moins excellents. Lancelot Ncute se révèle un très bon caméléon dans son rôle du Voyageur, pendant que les jeunes actrices de Sulle, Kerima et Lisha dévoilent un jeu tout aussi subtil. Gizem Erdogan délivre, elle aussi, une excellente performance en tant que Pervin, mère et épouse déterminée à retourner en Suède. Un personnage pourtant exigeant car fort, mais particulièrement exposé au danger.
Kalifat offre une vision à la fois grand public et intime de la radicalisation religieuse. Avec un scénario très bien construit porté par d’excellents acteurs et un rythme palpitant, elle constitue une très bonne série.