K2, c’est un récit fulgurant où vitesse extrême et secours héroïques révèlent la puissance brute d’une montagne qui change une vie.
Le K2 s’élève comme une forteresse de roche et de glace. Une muraille qui toise les humains, les éprouve, puis, parfois, les adopte. Dans ce beau livre publié chez Paulsen/Guérin, Benjamin Védrines raconte son ascension en 10h59’59’’, un record inimaginable sur cette montagne réputée pour sa dangerosité. Il raconte aussi l’autre versant de l’aventure : celui du sauvetage d’alpinistes en détresse, quelques heures après avoir tutoyé le sommet.
Le lecteur suit le fil de cette histoire comme on suit une arête aérienne : pas à pas. Chaque page dévoile un morceau d’intime, un souffle court, un paysage qui semble avaler l’horizon. Le Karakoram devient un personnage à part entière, exigeant et fascinant.
« Si je devais me souvenir d’une montagne, ce serait celle-là. Le K2 m’a transformé. Il a changé ma vie. » – Benjamin Védrines
Portrait en altitude
Benjamin Védrines, né en 1992 à Die, grimpe comme d’autres respirent. Il traverse les Alpes et l’Himalaya avec cette énergie des montagnards qui ne craignent pas de remettre leurs certitudes en jeu. Il bat des records (Chamonix-Zermatt, mont Blanc à ski, un 8000 en moins de huit heures aller-retour) et enchaîne les voies difficiles avec une fluidité déconcertante. Dans ce récit, il révèle pourtant autre chose : un regard sensible, presque fragile, face à la montagne qui l’a marqué au fer froid.

L’ombre d’un échec
L’histoire commence dans l’ombre d’un échec. En 2022, Benjamin Védrines tente une montée fulgurante du K2 sans oxygène. La tentative tourne à la tragédie : perte de conscience, hypoxie, secouru de justesse. Comme un alpiniste qui glisse avant de se rattraper au dernier piton, il redescend vivant… mais brisé.
Pourtant, le désir de recommencer s’infiltre en lui comme l’eau qui trouve toujours son chemin dans la roche. Il veut comprendre et revenir. Et puis, il veut savoir si la montagne qu’il appelle accepte sa présence. Le livre raconte ce retour, ce besoin presque instinctif de remettre les crampons sur l’arête où tout a failli s’arrêter.
Le lecteur ressent ce mélange de peur et d’attirance. On avance avec lui dans ces souvenirs râpeux. Comme si la montagne retenait son souffle.
« J’ai l’impression de pousser une porte derrière laquelle se trouve la réponse à la question que je me pose : est-ce que le K2 veut bien de moi ? » – Benjamin Védrines
De la préparation à l’ascension
Neuf mois de préparation. Neuf mois où le corps devient une corde tendue, prête à vibrer au moindre souffle de vent. Pendant 45 jours, du 13 juin au 28 juillet 2024, Benjamin Védrines et son équipe (photographe, réalisateur, cuisiniers, porteurs, alpinistes) vivent à l’altitude où le monde se fait silencieux.
Ils observent la météo comme on scrute un ciel avant l’orage, s’entraînent, prennent des mesures physiologiques. Ils espèrent. Mais la montagne commande. Elle impose le rythme, étire le temps, use la patience.
La frustration gagne parfois les tentes du camp de base. Pourtant, le 28 juillet, à minuit, l’attente s’efface. L’ascension commence.
Benjamin Védrines avance d’abord dans un territoire familier. Il connaît les reliefs, la texture de la glace, les passages délicats. Puis la montagne le ramène exactement là où il s’est effondré deux ans plus tôt.
Ici, les émotions se mélangent : appréhension, excitation, détermination. Il pousse, souffle, grimpe. Il sent cette « porte » intérieure dont il parlait s’entrouvrir.

Le Graal des cimes
Au sommet, tout se suspend. Le monde devient minuscule. Le record tombe : 10h59’59’’.
Seul sur la cime, l’émotion le submerge. Que se passe-t-il quand on réalise qu’on a atteint son but ? Qu’on réalise que la course à l’ascension, aux records, touche peut-être quelque chose de plus intime ? Une odyssée introspective ? Et ensuite ? Une sorte de désespoir pointe son nez. Le grimpeur se reprend. Et de se remet en action. Car après ces onze heures d’effort, un autre défi l’attend. Un premier décollage en parapente depuis le toit du Karakoram. Une image folle, presque irréelle.

La boucle est bouclée
L’histoire prend alors une autre dimension. La montagne n’a pas dit son dernier mot. Des alpinistes sont en détresse. Leur vie ne tient qu’à un fil. Benjamin Védrines et son équipe se mobilisent. Plusieurs jours d’effort, de froid, de lutte contre l’altitude.
Il y a là une forme de boucle vertigineuse : deux ans plus tôt, d’autres l’ont sauvé. Aujourd’hui, c’est lui qui s’arrime à la paroi pour secourir d’autres alpinistes.
Le récit s’élargit. Au-delà du record, au-delà de la performance, on découvre la force de la solidarité en haute altitude. Dans ces régions où l’air manque, l’humanité gagne en densité.
Pourquoi découvrir ce beau livre ?
Parce que c’est un bel objet, riche en images fortes et en regards croisés entre photographe et réalisateur. Ensuite, parce qu’il retrace l’ascension en temps réel et permet de vivre chaque pas comme si vous vous cramponniez à lui. Enfin, parce qu’il parle autant de vitesse que de vulnérabilité. Et parce qu’il mêle secours et records, lumière et abîme, humilité et bravoure.
La montagne n’est jamais un simple décor. Elle devient un miroir où on lit nos peurs, nos forces, nos choix.
Benjamin Védrines – K2, Éditions Paulsen/Guérin, photos de Sébastien Montaz-Rosset et Thibaut Marot, 256 pages, paru le 23 octobre 2025.

Avis
K2 est un livre puissant et sensible. Une plongée dans l’intimité d’un alpiniste qui se confronte à ses limites. Un hommage à la montagne et à ceux qui y risquent leur vie. Un récit où chaque page porte l’odeur de la neige et le goût du dépassement.

