Je ne cours pas, je vole ! nous emmène dans l’univers impitoyable du sport de haut niveau à travers 23 personnages.
Quand on voit les noms d’Élodie Menant et de Johanna Boyé réunis sur une même affiche, on ne peut qu’être gagné par l’enthousiasme. En effet, la dernière collaboration de ces deux talentueuses artistes a donné lieu à l’immense succès, Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty ?, qui a valu à l’éblouissante Élodie Menant le Molière de la révélation féminine. Nous avons d’ailleurs eu le bonheur de la retrouver cet été dans l’un des succès d’Avignon, La voix d’or. Alors, l’essai est-il transformé ? Pas sûr…
L’or coûte que coûte
Julie n’a qu’un seul objectif dans la vie : la médaille d’or olympique aux 800 mètres d’athlétisme. Tout sa vie n’est organisée qu’autour de cette ambition. Rien ne la prédestinait à ça pourtant, entre ses crises d’asthme et son médecin qui lui défendait de courir. Mais « pas de grande victoire sans grands efforts » ne cessait déjà de lui répéter son père tandis qu’elle n’avait que 11 ans. Et ce n’est pas son coach qui dirait le contraire. Désormais, son métier c’est gagner du temps. Son but : marquer l’histoire à son tour, et rendre fière son frère, atteint d’une maladie génétique grave qui l’empêche de faire du sport.
Alors, quand elle s’effondre à quelques mètres de l’arrivée, en demi-finale des J.O 2008, victime d’une rupture du tendon d’Achille, pas question pour autant de renoncer. 6 heures d’entraînement par jour pendant 12 ans, ça ne peut pas avoir été pour rien, quoi qu’en dise son médecin. Après tout, Usain Bolt a bien gagné de nombreuses médailles malgré sa scoliose et sa jambe plus courte que l’autre !
L’envers du décor
Les craintes, les blessures, la pression médiatique, celle des entraîneurs, des proches, la difficulté de mener une vie privée en parallèle, l’obsession de la victoire… Autant dire que le sport de haut niveau n’est pas montré sous son meilleur jour. Parmi les vingt-trois personnages qu’interprètent les six comédien.ne.s, on croise Usain Bolt qui vient de gagner sa 8ème médaille d’or olympique, Rafael Nadal, et Laure Manaudou qui n’a jamais aimé nagé mais voulait gagner ! Et qui a fini par faire une overdose de ses 60kms de nage par jour, soit l’équivalent de 160 640 carreaux de piscine !
Ces champions en tenues de sport traversent régulièrement l’histoire pour nous raconter leurs exploits, leurs sacrifices, leurs découragements, leurs moments d’adrénaline. Le tout dans une mise en scène sans cesse en mouvement où les déplacements sont chorégraphiés à la manière d’une épreuve sportive. Élodie Menant s’empare ainsi d’un sujet rarement traité au théâtre, et qui plus est tout particulièrement d’actualité à l’approche des Jeux Olympiques de Paris 2024.
Avec Je ne cours pas, je vole !, Élodie Menant et Johanna Boyé passent près du podium
Si Johanna Boyé nous avait totalement convaincus dans Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty ? et Les filles aux mains jaunes, deux chefs d’œuvres, nous sommes ici restés sur notre faim. On perçoit bien l’attention portée à la forme, à l’esthétique de la pièce ; cette volonté d’une mise en scène qui éblouit, virevolte, nous emporte dans un tourbillon de vie. Peut-être trop. D’autant que tout ne fonctionne pas, et les enchaînements manquent parfois de liant. Certains moments dansés, par exemple, arrivent comme un cheveu sur la soupe sans que l’on comprenne toujours ce qu’ils viennent raconter. Ainsi, nous nous sommes souvent posé la question de l’intention…
Malheureusement, l’histoire a elle aussi eu du mal à nous transporter. Nous aurions aimé plus d’épaisseur, de subtilité, d’originalité aussi dans les propos de fond comme dans les rapports entre les personnages. Certains d’entre eux sont d’ailleurs à peine esquissés, très anecdotiques, comme le compagnon de Julia. Les parents de cette dernière quant à eux disparaissent de l’histoire un peu facilement, décidant soudain de partir aux États-Unis.
Mais ce qui nous a probablement le plus ennuyés, c’est que nous avons quitté la salle sans avoir compris où Élodie Menant voulait en venir, quel était le message à retenir de la pièce. Que le sport en compétition est toxique et que les athlètes de haut niveau s’infligent d’interminables souffrances ? Qu’il faut sans cesse se dépasser ses limites, peu importe ce qu’on y laisse, pour atteindre ses rêves ? Le message n’est pas clair.
Une jolie performance tout de même
Du côté du jeu des comédien.ne.s en revanche, rien à dire. Ils sont tous et toutes convaincants. Double distribution oblige, nous avons malheureusement manqué Élodie Menant, même si Marie Glorieux relève complètement le défi artistique… et physique du rôle de Julie. Mentions spéciales à Slimane Kacioui qui interprète, entre autres et avec une belle intensité, un coach sportif redoutable, et à Olivier Dote Doevi qui déclenche beaucoup d’éclats de rire sans en faire trop, notamment dans le rôle du commentateur sportif en cycliste et veste de costume !
La scène est le théâtre de la vie familiale, avec ses éclats et ses débordements. Elle est aussi la salle d’entraînement, le cabinet du médecin ; se change en piste de course ou en podium pour nous plonger au cœur de la compétition… Tous les espaces sont exploités, on change parfois de perspective, de rythme, de ton… Le dépassement de soi est bel et bien là. Mais malgré tous ces efforts, la magie n’a pas opéré sur nous. Et Je ne cours pas, je vole ! passe à côté de notre podium.
Je ne cours pas, je vole !, d’Élodie Menant, mise en scène Johanna Boyé, avec Élodie Menant ou Marie Glorieux, Olivier Dote Doevi, Axel Mandron ou Slimane Kacioui, Émilie Eliazord ou Vanessa Cailhlol, Laurent Paolini ou Arnaud Denissel, Marine Villet ou Gaëlle Pauly, se joue à la Comédie des Champs-Élysées.
Avis
Je ne cours pas, je vole nous emmène dans les coulisses de la compétition sportive à un rythme effréné. Une invitation à la prise de conscience, à la vigilance aussi quant aux risques et aux sacrifices qu'implique de tels objectifs de réussite.