Je m’appelle Bashir Lazhar est une ode sensible et poétique à tout ce qui nous rend unis face à la violence de l’existence.
Je m’appelle Bashir Lazhar est une pièce qui parle d’amour et de solitude, de l’avenir qui se prépare et du passé qui rôde, de la vie qui envahit la cour de récréation et de la mort qui vient balayer l’innocence, de justice et de guerre, d’exil et de transmission…
À la suite d’un évènement tragique, Bashir Lazhar devient le professeur remplaçant d’une classe de CM2. Et si ses élèves ont besoin de lui, on découvre petit à petit que l’inverse est au moins tout aussi vrai… Une pièce d’une grande douceur, qui nous transporte.
Un professeur pas comme les autres
C’est d’abord de dos que nous apparait ce professeur, sa sacoche en cuir à la main. Il s’entraîne longuement à se présenter à ses nouveaux élèves dans une scène à la fois drôle et touchante. Il va remplacer Martine Lachance, qui porte aussi mal son nom que Mme Lajoie, la Directrice. Tendre ironie. On ne connaît pas encore les circonstances de ce remplacement soudain, mais on comprend vite qu’elle ne reviendra pas.

Tels les élèves de cette classe de CM2, nous faisons ensuite face à ce professeur stressé, un peu vieux jeu et maladroit, qui se tient debout, les épaules hautes et le visage crispé. Il n’a pas de liste pour faire l’appel, ne connaît pas le programme et n’est pas franchement familier des codes de l’Éducation Nationale. Ah, et il ne parle pas anglais non plus, ce qui n’est pas idéal pour dispenser le cours dédié !
Mais rien de tout ça n’est bien grave. Car Bashir Lazhar a l’envie de transmettre, et c’est un peu tout ce qui compte finalement. Enfin, sauf pour la directrice qui n’est pas vraiment de cet avis. En effet, entre les murs conservateurs de son bureau, les doutes et l’incompréhension grandissent à l’égard de ce professeur aux méthodes assez peu conventionnelles.
Un bijou dans son écrin
La mise en scène très esthétique et évocatrice de Thomas Coste apporte indéniablement à cette pièce sa part de charme. Entre deux rangées de projecteurs qui encadrent l’espace et dont les lumières viennent parfois très habilement marquer une cadence, d’autres fois symboliser un personnage, rien d’autre qu’une table d’écolier et un taille-crayon Mappemonde. Un décor qui pose une atmosphère intime et pudique.

Et c’est d’un simple changement d’espace, de posture, de regard ou de lumière que l’on passe de la salle de classe au bureau de la directrice, du présent au passé, du réel aux pensées de Bashir Lazhar. De temps à autre, dans une lumière plus étouffée, un souffle apeuré ou une sonnerie de téléphone viennent résonner, convoquant le passé de ce professeur bien décidé à ne pas perdre davantage que tout ce qu’il a déjà perdu, à préserver l’humanité là où elle peut encore l’être. Et ce ne sera pas simple…
Un passé trop présent
On apprend petit à petit à connaître cet homme, son histoire tragique, son courage admirable, ses douleurs immenses qui se laissent deviner çà-et-là à travers quelques remarques échappées, certains regards abandonnés ou un crayon un peu trop longuement taillé. Un léger malaise s’installe tandis que quelque chose de lui semble toujours nous échapper, insaisissable… Probablement que ce quelque chose lui échappe à lui aussi en réalité.
« Il faut savoir entendre les enfants avant qu’ils ne crient trop fort. »
En effet, privé de son Algérie natale qu’il a du fuir, de sa famille, bientôt aussi d’un travail qui ne lui appartient pas vraiment puisqu’il ne fait que remplacer, comment pourrait-il encore savoir qui il est et où est sa place ? « Je suis Bashir Lazhar » se répète-t-il à voix basse en faisant les cent pas, comme pour ne pas l’oublier, pour s’accrocher à ça au moins, à ce nom qui est le sien.
La douceur nous enveloppe
L’interprétation tout en reliefs de Thomas Drelon est troublante, touchante, hypnotique. Quel formidable comédien avons-nous découvert là ! Il se fait d’ailleurs totalement oublier derrière les traits de ce personnage auquel il donne vie, si bien que l’on est presque surpris que sa voix, sa diction, sa posture et même son regard ne soient plus les mêmes lorsqu’il vient saluer le public à l’issue de la pièce. Et sa sensibilité nous étreint encore, bien après le spectacle.

Je m’appelle Bashir Lazhar aborde des thèmes douloureux, et pourtant on quitte le théâtre le cœur assez léger tant le propos est enrobé d’une douceur salvatrice. Une douceur qui l’emporte sur la violence, qui vient cajoler les douleurs encore vives et dépose une note d’espoir sur une partition où tout semble dissoner.
Et cette note d’espoir, ce n’est ni plus ni moins que l’autre, sa tolérance, sa compassion, sa main tendue, absolument nécessaires face aux murs qui inlassablement se dressent un peu partout… Elle résonne tout particulièrement dans la scène finale, très émouvante dans le fond comme dans la forme, qui vient symboliser avec force et poésie toute l’intelligence d’un propos profondément humaniste.
Je m’appelle Bashir Lazhar, d’Évelyne de la Chenelière, mise en scène de Thomas Coste, avec Thomas Drelon, se joue jusqu’au 09 avril 2023, du mardi au samedi à 19h et le dimanche à 15h30, au Théâtre du Lucernaire.

Avis
La beauté et la finesse de ce texte d'Évelyne de la Chenelière ne pouvaient être mieux rendues que par cette interprétation et cette mise en scène pleines de poésie et d'intelligence. Une pièce qui nous bouscule tout en nous cajolant. Une véritable ode à l'humanité.