Je crois que dehors c’est le printemps raconte l’histoire vraie d’une femme qui se réapproprie le bonheur après un drame terrible.
Je crois que dehors c’est le printemps est une pièce forte et bouleversante qui livre un récit glacial. Celui d’Irina, une mère de famille aimante, dont le mari et les deux petites filles ont subitement disparu, de la manière la plus terrible qui soit.
Pourtant, cette insoutenable tragédie ne doit pas empêcher la vie, la joie, l’amour de renaître. Gaia Saitta nous livre le parcours de cette femme au courage infini, fermement décidée à reconquérir une existence à jamais bouleversée. Poignant !
Un drame impossible à prévoir…
C’est une histoire à peine croyable, et pourtant, elle a bouleversé toute l’Italie il y a un peu plus de dix ans… Le 30 janvier 2011, Irina Lucidi découvre que son mari, Mathias, a enlevé leurs deux jumelles de six ans, Alessia et Livia. Quelques jours plus tard, elle apprend qu’il a mis fin à ses jours. Les petites, quant à elles, n’ont jamais été retrouvées.
« Elles sont en train de jouer chez des amis, je les emmènerai à l’école demain matin. Tu iras les chercher. C’était le 30 janvier 2011. Je ne les ai plus jamais vues ».
Rien n’était prévisible. Pourtant, à la lueur de l’issue tragique, ce qu’elle raconte fait parfois froid dans le dos. Elle était « légèrement » amoureuse de Matthias quand elle est tombée enceinte de leurs jumelles. Deux petites filles si semblables et à la fois tellement différentes dans leurs tempéraments, leurs sensibilités ; deux petites filles tendrement aimées par leurs deux parents. Mais c’est surtout de Mathias dont nous parle Irina.
Mathias qui était toujours présent, savait toujours quoi faire. Elle décrit sa personnalité psychorigide, la violence à coups de mots et de silences qui terrorisent, la domination et l’humiliation à coups de post-it collés partout, tout le temps, par dizaines, pour donner des « conseils » de plus en plus absurdes, comme un mode d’emploi de l’existence. Elle évoque la séparation devenue inévitable pour elle, dont elle venait de lui faire part…
Une adaptation débordante d’humanité
Sur scène, Gaia Saitta s’empare de cette histoire en adaptant le roman de Concita de Gregorio écrit quelques années après les faits à partir du témoignage d’Irina Lucidi. « J’ai besoin de mettre ensemble les morceaux de mon histoire. » exprimait alors la jeune femme. Immédiatement solaire, émouvante, attachante, amicale même, la comédienne italienne accapare sans aucun mal notre attention. Elle ne raconte pas l’histoire, elle la vit, en déroule peu à peu le fil, se confie comme si c’était la sienne, c’est à s’y méprendre. Et elle nous invite aussi à y prendre part, par sa manière de s’adresser à nous, mais pas seulement.
En effet, elle va, discrète et délicate, à la rencontre du public pour inviter les spectatrices et spectateurs qui le veulent bien à prendre place à ses côtés, sur scène. Assis de chaque côté du plateau ainsi qu’au premier rang de la salle, ils seront les personnages secondaires muets, les présences fantômes vers lesquelles la caméra se tournera à un moment ou à un autre et dont le visage nous apparaîtra projeté. La grand-mère d’Irina, sa psy, la juge… Un procédé original, intrigant, où le théâtre et la vie ne font plus qu’un, mais par lequel nous avons eu du mal à être touchés.
Un propos dense et fragmenté
Le décor est épuré. Une caméra, deux écrans, un chariot roulant sur lequel sont disposés quelques objets, un bac de sable dans lequel est posé une paire de chaussures de randonnée, et quelques post-it qui seront projetés. Y sont écrits les questions à se poser, les souvenirs importants, les points à aborder pour écrire l’histoire… puis elle les laisse se diluer dans l’eau, comme pour pouvoir passer à autre chose, continuer à avancer, pas après pas.
« Il faut conserver intacte la mémoire des moments mais sans s’y perdre. Ne pas vivre que pour eux »
La pièce prend, à certains moments, des allures d’enquête. Tant de questions restées sans réponses, de pistes inexploitées, d’incompréhensions… Comme ces fameuses chaussures de randonnées, pleines de boues, que Mathias a laissées dans l’entrée avant de disparaître et qui n’ont pas été analysées par la police ; ou ces deux grands sacs de voile qu’il a vidés et emportés avec lui. Mais aussi le silence insoutenable de ses proches, et celui de leur psychologue de couple…
Et puis, il faut revenir à la vie. Mettre à jour au moins une fois par mois la liste de ce qui la rend heureuse, pour tenir, malgré la culpabilité qui s’invite. Celle qu’elle s’inflige elle-même, presque inévitable, et celle que lui font ressentir les regards des autres. Être à nouveau heureuse, sourire, partir en vacances, boire un verre de vin, aimer… comme autant de droits à reconquérir.
Le printemps au bout du tunnel…
Je crois que dehors c’est le printemps n’a pas pour vocation à raconter ce drame, mais plutôt à le transcender, à trouver malgré lui, à travers lui, un chemin vers la lumière. Parce que « la douleur toute seule ne tue pas » rappelle-t-elle à plusieurs reprises. C’est le récit d’une mère confrontée à un drame pour lesquels nos langues n’ont pas de mots, à un deuil impossible à faire. Et qui fait le choix courageux de la vie.
Un combat qui nous en rappelle un autre dont nous vous parlions tout récemment. Celui que nous conte, dans le livre rien n’est su, Sabine Garrigues, à qui les attentats du 13 novembre 2015 au Bataclan ont arrachée sa fille, Suzon. Des récits inspirants de femmes fortes qui, petit à petit, apprennent à recoller leurs morceaux après avoir volé en éclats…
Je crois que dehors c’est le printemps, d’après le livre « Mi sa che fuori è primavera » de Concita de Gregorio, adaptation et mise en scène Gaia Saitta, Giorgio Barberio Corsetti, avec Gaia Saitta, se joue jusqu’au 15 octobre 2023 au Théâtre du Rond-Point.
Avis
Le côté assez décousu du spectacle et la manière d'entremêler le théâtre et la réalité de la vie peuvent être assez déroutants. Mais l'humanité et la proximité de la comédienne avec le public rendent l'expérience particulière et mémorable.