3 ans après avoir expérimenté le HFR (High Frame Rate) avec Billy Lynn, permettant de s’émanciper des 24 images par seconde classiques (et aller jusqu’à 120), Ang Lee se réessaye au défi de bousculer les conventions et faire avancer le cinéma avec Gemini Man.
Car oui « Gemini Man« , au-delà de son aspect de film d’action des 90’s, est un film important à bien des égards, et la possibilité pour le double Oscarisé derrière « Tigre et Dragon » ou « L’Odyssée de Pi » de faire avancer le langage cinématographique au travers d’un blockbuster diffusé dans de bonnes conditions.
Gemini Man, un film bicéphale
En développement depuis plus de 20 ans, l’intrigue suit Henry Brogan, tueur à gages cinquantenaire désireux d’une retraite paisible après une vie de tuerie, malheureusement contrariée lorsque sa tête est la cible d’un clone plus jeune, plus rapide et plus dangereux. Autant le dire tout de suite, le scénario de Gemini Man, bien que relativement plaisant, est tout à fait classique et peu porteur d’audace, même si il faut reconnaître une volonté de proposer un duo de personnages principaux fouillés et humanisés plutôt qu’un bête film bourrin décérébré.
La force du métrage est toute autre : en effet, tourné en HFR 3D, le film s’avère être une claque technique absolument vertigineuse, où chaque plan produit une vraie sidération d’entrée de jeu (et donc le seul format dans lequel il faut voir Gemini Man) !
Un cinéma avant tout immersif
Que ce soit un train en marche (référence à l’entrée en guerre du train de la Ciotat), 2 personnes discutant autour d’un verre ou un panorama citadin, la quantité d’information visuelle qui nous arrive à la rétine abolit les limites de l’écran et nous ouvre littéralement une fenêtre vers ce qu’il s’y passe, sans aucune sensation de flou et une netteté absolue.
Une sensation d’hyper-réalisme donc, décuplant l’immersion, l’action ou même l’implication émotionnelle, à condition que la mise en scène suive. Une explosion, une visée en vue subjective, un plan sous l’eau, un regard…la quantité d’informations qui nous parvient est saisissante et vectrice d’émotion qui nous prend aux tripes.
Travelings longs et fluides, balance des points parfaite, gestion bluffante des lignes de fuite, compositions d’images et des diverses couches de plans lourdes de sens, on a réellement l’impression d’avoir accès à un film du futur, happant le spectateur de manière plus viscérale qu’à l’accoutumée pour lui proposer une réelle expérience cinématique. Que ce soit la meilleure poursuite à moto de l’Histoire du cinéma (oui, oui), un mano-à-mano haletant, des fusillades musclées, une confrontation émotionnelle en plan fixe ou un monologue face caméra, chaque effet est démultiplié.
Une fabrication qui sort des clous
Résultat à mettre également au crédit de Dion Beebe (directeur de la photographie ayant déjà démocratisé la HD au cinéma sur Collateral ou encore Miami Vice), offrant une photographie nette (donc peu esthétisée) et une gestion de la luminosité pour les scènes de nuit ou d’obscurité qui laisse pantois. Du jamais-vu donc, magnifié par une mise en scène intelligente qui évite tout sentiment de docu-fiction en 4K.
Le danger est également de concevoir les décors de manière classique (et avoir un résultat en « carton-pâte ») ou que les acteurs ne soient pas à 200% dans leur rôle (de quoi donner un aspect de telenovela), chaque artifice de mise en scène doit être maîtrisé et travaillé dans cette optique. Heureusement Guy Hendrix Dyas (Inception, X2, Passengers…) utilise majoritairement des lieux réels en Colombie, Virginie ou Hongrie, proposant quand même quelques décors comme des catacombes emplis de crânes et d’os ainsi que d’autres sets truffés d’accessoires et de vie.
Will Smith vs Big Willie
Concernant le casting, il est impeccable, Will Smith en premier. Tête d’affiche et double rôle maîtrisé, il apporte une vraie sensibilité et vulnérabilité aux 2 personnages principaux, avec un Henry vieillissant et courageux, ainsi qu’un Junior plein de doute et de fougue.
Autre défi technique majeur, le clone de 23 ans est une franche réussite et devient ainsi le premier double numérique porteur d’émotions et intégralement conçu par les artistes de WETA Digital (Avatar, King Kong, Alita, Planet of the Apes et d’autres merveilles à effets visuels).
Véritable casse-têtes (Smith jouait face à une doublure avant de recréer les scènes dans un volume de performance capture), protagoniste à part entière que ce soit face à sa version âgée ou non, le résultat est impressionnant de réalisme. La sensation de revoir le Prince de Bel Air de nos jours est palpable avec un grain de peau réagissant aux ombres et un regard qui ne fleure jamais « l‘Uncanny Valley« .
On a cependant quelques plans plus lisses et moins illusoires lors de scènes en plein jour, mais globalement la prouesse est là, d’autant que l’acting renvoie à une période où Will Smith était plus inexpérimenté et moins mature (dans la gestuelle, le regard ou même la voix).Mary Elizabeth Winstead est un atout charme en informatrice, offrant un contrepoids parfait pour des scènes de complicité ou d’action, et Benedict Wong est la cerise humoristique sur le gâteau.
Antagonisme passif
On regrettera un Clive Owen certes convaincant en bad guy corporatiste et figure paternelle maléfique, mais malgré de bonnes motivations, reste un antagoniste classique sans vraie épaisseur.
Malgré quelques défauts qui l’empêchent d’accéder à un panthéon de films d’action marquants, Gemini Man nous propose néanmoins une expérience comme nulle autre, qui n’aurait sans doute qu’un intérêt tout relatif en 24 fps. Une date importante dans la manière de concevoir le cinéma, et sans aucun doute une pierre blanche vers le chemin du cinéma de demain. Un cinéma plus immersif, plus émotionnel, plus impressionnant, plus prenant, et donc encore plus marquant, rompant définitivement les barrières vers l’imaginaire.
Et rien que pour cela, il faut voir ce film dans son format de base, apportant un vrai sens de mise en scène et de storytelling, et donc porteur de sens.
CharleyD