Fantasy est une BD écrite et dessinée par Yoann Kavege, un jeune auteur qu’il faudra suivre.
La première chose qui surprend en tenant Fantasy en main ce sont ses deux couvertures épurées, soignées, avec vernis sélectif. Deux couvertures car à l’arrière, pas de colophon habituel, mais une autre perspective de la couverture avant. Deux personnages se regardent, avec pour seul autre indication que le titre. Alma d’un côté, épée à la main, le regard défiant, et Yourcenar de l’autre, la main tendue et ouverte, le regard empreint de curiosité. On comprend aussitôt qu’on peut lire leurs deux histoires, en un seul ouvrage. Et outre le côté pratique de ne pas avoir à acheter deux livres, ce double sens de lecture vient intelligemment servir le propos, comme nous le verrons plus tard.

Le premier côté raconte Alma ; princesse héritière de son royaume, elle est envoyée accomplir le rituel de la Saignée des Dieux. Cela consiste à parcourir les terres jusqu’à celle des Dieux géants, afin d’en terrasser un, et ainsi venger l’affront fait à l’humanité il y a 500 ans. Pour Yourcenar, c’est le grand jour car l’Oracle va enfin lui prédire sa rencontre avec l’être aimé. Mais la jeune géante comprend qu’elle est destinée à une humaine, et qu’elle devra attendre 1000 ans.
A chacune sa partie et ses couleurs
Le dessin est fluide et confortable, les actions sont claires et compréhensibles. Il est à noter que les visages se distinguent par leur trait, rendant les scènes compréhensibles malgré les changements de styles des personnages au fil de l’aventure. Chaque histoire présente une subtile différence dans sa une direction artistique, par les détails et les couleurs. A univers différents, ambiance visuelle différente. La langue des personnages elle-même est différente et cela sera abordé dans le récit, dans une quête de communiquer et de se retrouver. Au moins jusqu’à la fin. En quête de vengeance ou d’amour, leur destin se croise à mesure qu’on avance vers le milieu du livre.

Nos héroïnes ont vécu autour d’un destin décidé pour elles, par une figure d’autorité. Toute leur vie été bâti autour de ça, leur décision comme leur sacrifice, et elles ont été préparées à servir le bien commun. On se demande où se trouve leur volonté propre, leur désir. Et alors que jusqu’ici, les récits ressemblent à une classique tragédie grecque, l’ouvrage ne s’arrête pas là. Par une remise en question de l’autorité et de ses desseins, elles ont la possibilité de suivre la boussole de leur choix pour mener leur vie. Faut-il désormais suivre sa voie ? Suivre le plan ? Suivre son cœur ? Et qu’est-il acceptable de sacrifier au passage, en plus d’elles-mêmes ?
L’histoire sans fin
Les doubles sens de lecture dans l’édition ne sont pas inédits, mais ils restent rares car peu utiles. Ici, il nous permet de déplacer la fin du livre au milieu de l’objet, permettant de rester sur quelque chose d’inachevée. Même en ayant terminé les deux histoires, nous sommes privés du geste de fermer le livre à la « fin ». Ainsi on n’en sort pas vraiment. On y reste, on y repense, on refait les histoires, pour confronter encore les personnages à des choix presque impossibles.

Impossibles et complexes, c’est le moins que l’on puisse dire pour Fantasy. Le titre ne se contente pas de parler d’amour et de destin, il parle aussi de mensonge, d’évolution, de manipulation des foules, et surtout, du bien du plus grand nombre, et la liste est longue. Plusieurs thèmes sont ici entremêlés, et on apprécie l’écriture maitrisée qui ne nous perd pas en tergiversations. On va à l’essentiel afin d’arriver plus vite aux questions existentielles, sans fioritures. Mais sans trop nous prendre par la main, il y a juste ce qu’il faut pour nous emmener où l’auteur le souhaite.

L’intelligence ici est qu’à la lecture, chacun et chacune se fera son opinion. On vivra de façon très différente les deux issues proposées par l’auteur, à l’arrivée de la croisée des chemins et des pages. Fantasy est bien écrit, bien dessiné, et surtout maîtrisé, montrant un auteur plus expérimenté que sa bibliographie à ce jour nous le laisse croire. Aussi se pose une dernière interrogation : le titre Fantasy lui-même est un mot trop simple et trop large pour décrire l’œuvre en objet. L’hypothèse la plus probable sera de pouvoir y transposer n’importe quel univers. Ou au contraire, de se détacher de nos références trop nombreuses, afin de mieux accueillir cette histoire sans réserve. Elle le mérite certainement.
Fantasy, de Yoann Kavege, sortie le 27 mars chez Bubble Editions

Avis
Fantasy est plaisant en tout point, et profond. C’est une très belle histoire d’amour et de libre arbitre, à placer entre toutes les mains, pour y laisser ne serait-ce qu’une petite marque.