Avez-vous toutes les refs pour apprécier Assassin’s Creed Shadows ? Histoire des Ninjas permet de distinguer la réalité historique du mythe, et aussi d’expliquer comment il s’est construit. Pierre-François Souyri contribue aux deux aspects, en proposant ce livre, et en ayant été consultant pour le jeu vidéo évoqué.
Pierre-François Souyri est historien et spécialiste du Japon médiéval. Professeur dans plusieurs universités européennes et japonaises, il est aussi conférencier, consultant et auteur de nombreux livres sur le sujet, parmi lesquels une Histoire des samouraïs. Dans son dernier livre Histoire des Ninjas, hommes de main et espions dans le Japon des samouraïs, l’auteur déconstruit l’image contemporaine de ces personnages en y confrontant la réalité historique -de ce qu’on en sait, à son appropriation dans la culture populaire. Et c’est plutôt bien amené et clair.

L’ouvrage que nous avons en main est déjà un bel objet, avec une couverture souple en vernis sélectif. En son centre, des photos, des documents et des illustrations viennent alimenter le propos. Et pour comprendre de quoi on parle, l’auteur aura prit soin de poser plusieurs choses : le contexte historique, les choix des orthographes (car oui, il y a une sémantique spécifique), et le vocabulaire des castes sociales. Ainsi on apprend déjà beaucoup de choses à ce stade. L’ouvrage se structure ensuite pour les deux tiers de l’Histoire des Ninjas selon les documents et les faits qui y sont relatés, même si ces derniers sont peu nombreux. En effet ils sont peu présents dans les sources de l’époque, et pour cause : leur nature même.
Histoire des Ninjas, entre mythe et réalité
S’ils étaient d’abord des espions, hommes de mains et mercenaires, et s’ils ont permis de renverser de nombreuses guerres et batailles, les Shoguns qui les recrutaient ne se vantaient pas de ces victoires peu glorieuses. Les termes associés aux ninjas – ou shinobis à leur époque, sont ceux de vauriens, voleurs, espions, hommes de main, tueurs, incendiaires… Leurs activités étaient souvent de morale douteuse, et ils étaient issus des plus petites classes sociales. Loin des habits noirs issus de l’imaginaire collectif, ils étaient habillés pour se fondre dans le peuple, écouter et rapporter des informations. Parfois ils pouvaient brûler ou semer du désordre, et en de rares occasions, tuer.
L’auteur indique que la longue formation secrète dans des écoles spécialisées et l’anonymat, ont permis aux ninjas – shinobis, d’acquérir une réputation caricaturée de maitrise de techniques magiques et d’adresse au combat. Tous les ingrédients sont dosés pour en faire de parfaits personnages de fiction, et amener l’autre partie du livre.

Dans le dernier tier d’Histoire de Ninjas, il nous est expliqué de façon très détaillée et avec de nombreuses références, comment ces personnages sont devenus un mythe. La culture populaire s’est appropriée leur histoire et réinventé leur nature même, comme avec les Tortues Ninjas qui mangeaient des pizzas dans les égouts de New York. L’ouvrage nous apprend que ces légendes sont nées le plus souvent aux XIXe et XXe siècles, et Pierre-François Souyri explique, à l’aide d’une nouvelle historiographie japonaise, comment ces malfrats et vauriens sont devenus des Robins des Bois modernes, voir même des magiciens. Des origines des symboles, en passant par l’arsenal et les écoles de ninjas, les références dans le cinéma ont joué leur rôle. On apprend que même James Bond a participé sans le savoir !
Entretenir le mythe
Sont distingués aussi les personnages de fictions et leurs origines, des personnages historiques. Si nous connaissons des ninjas célèbres tels que Sasuke ou Jiraiya, nous savons désormais que leur noms et attributs ont des origines fondées. L’auteur contribue à perpétuer le mythe en ayant œuvré comme consultant historique pour le prochain Assassin’s Creed Shadows – japon féodal fin du 16es. Ce travail a nécessité de compléter parfois ses recherches, et de contribuer de fait à l’écriture d’Histoire des Ninjas. Dans ces exercices, les créateurs posent les questions, les historiens répondent, mais n’ont ensuite aucun contrôle sur la suite qui est donnée.

L’auteur reconnait lui même que l’intrigue n’a « ni queue ni tête d’un point de vue historique, en mellant ninjas et templiers« , et que les femmes ninjas n’ont jamais existé. Mais il s’agit d’un jeu vidéo, d’une fiction. Dans le détail du jeu cité, les reproductions de villes, temple, quotidien, montrent une exactitude stupéfiante sur le contexte historique et le mode de vie du Japon féodal. Assassin’s Creed Shadows pourra donc compléter votre représentation concrète des histoires et personnages évoqués dans Histoire des Ninjas.
L’ensemble de l’ouvrage est clair, compréhensible, et donne les clefs pour s’approprier soi-même le personnage du ninja. Et quand bien même le sujet semble maigre selon les documents historiques recensés, il y suffisamment de matière pour dessiner le portrait de ces shinobis. Le prisme de la pop culture et de ses symboles est aussi fascinant et permet de mettre Histoire des Ninjas, hommes de main et espions dans le Japon des samouraïs dans de nombreuses mains.
Histoire des Ninjas, hommes de main et espions dans le Japon des samouraïs, chez Tallandier, actuellement en librairie

Avis
Histoire des Ninjas est une lecture bien documentée et indispensable à la compréhension du mythe et de ses références dans la pop culture. Mythe qu'on prend plaisir à comprendre, et perpétrer.