Avec Daaaaaali !, le cinéma de Quentin Dupieux semble se répéter, se réfugiant dans ses effets non pas pour narrer la liberté artistique de sa figure mais sa propre impossibilité à s’en emparer.
Daaaaaali ! n’est donc pas une biographie, mais bel et bien le douzième long-métrage de Quentin Dupieux, dont on commence ici à instantanément identifier la rengaine. Dans cette tentative de portrait enamouré de l’artiste, six acteurs se partagent donc le rôle de l’artiste, autour d’un pitch toujours aussi minimaliste, et une durée toute aussi resserrée. Anaïs Demoustier, muse la plus fidèle du cinéaste (entamant ici leur quatrième collaboration), balade donc sa moue désarçonnée en quête d’un projet impossible, tel Alain Chabat dans Réalité, film dont ce Daaaaaali ! semble dangereusement se rapprocher. Parce qu’avec autant de projets en si peu de temps, Quentin Dupieux était parvenu à ne pas sombrer dans la redite, en proposant notamment trois derniers films aussi différents que communément désabusés, paraissant aisément incarner un petit sommet dans la carrière du cinéaste hyperactif (Incroyable mais vrai, Fumer fait tousser et Yannick).
Mais voilà, Daaaaaali ! et les notes entêtantes de Thomas Bangalter rappellent instantanément celles de Philip Glass dans le labyrinthique Réalité de Quentin Dupieux, dont certains points communs déjà évoqués plus haut, appuient en plus de sa narration éclatée, cette impression d’une ritournelle qui commence à dangereusement se répéter. Ainsi, malgré une direction d’acteurs et artistique toujours aussi aboutie, cet anti-portrait de Salvador Dali sent le réchauffé et l’inabouti pour un cinéaste qui à l’image de son personnage de journaliste, semble écrasé derrière l’originalité et la liberté de son écrasante référence.
Dali-tatif
Il y ainsi certaines scènes qui semblent pouvoir résumer tout un film en une poignée de secondes, et l’entrée en scène d’Édouard Baer dans le rôle de Salvador Dali en fait clairement partie. En une interminable et hilarante traversée de couloir, tout semble déjà être dit, de ce que l’on aime de l’acteur comme de ce que l’on pourrait s’imaginer de Dali et de ses œuvres, et tout relève alors instantanément dans Daaaaaali ! d’une totale évidence. Le passage de relais entre ses six différents visages devient ainsi tout naturel, semblant tous s’être accordés sur la même note, avec une préférence toute particulière (après Édouard Baer et l’émouvant Didier Flamand) pour Jonathan Cohen qui s’empare à merveille du jouissif, excessif et perpétuel sens de la mise en scène du personnage face aux plus monotones (et moins présents) Gilles Lellouche et Pio Marmaï.
La photographie irréelle de Quentin Dupieux, tout comme la direction artistique de la fidèle Johan Le Boru finissent ainsi de faire réellement vivre à l’écran l’univers de l’artiste, du paisible et surréaliste au torturé et réellement hanté, sublimes évocations de la liberté créatrice en perpétuelle contradiction avec l’inévitable temps qui passe, que ce soit en récréant avec un sens inouï de détails certaines grandes œuvres ou bien en rendant finement hommage à la démarche, au style, et à l’image inoubliable de Salvador Dali. Mais voilà, tout cela finit, comme la ritournelle de Thomas Bangalter, par se répéter jusqu’à l’overdose, et le cinéaste se voit alors soudainement pris en flagrant délit de redite pour sembler tenter de se débarrasser d’une figure bien trop imposante et alors dévoiler ses failles.
Flagrant-Dali
Parce que jamais auparavant Quentin Dupieux n’avait eu à se confronter à un personnage réel, même aussi irréel et grandiloquent que Salvador Dali. Et dans ce qui aurait pu être un émouvant aveu d’humilité énoncé par le personnage d’Anaïs Demoustier (après muse, ici transfigurée en alter-égo), Dupieux y choisit invraisemblablement la voie de la surenchère de tous les reproches et adjectifs faciles accolés à son cinéma. Toute la petite boutique de ce dernier (surtout de sa première partie de carrière, entre Wrong et Réalité) se voit alors compilée et amplifiée jusqu’à un interminable final qui ne semble jamais savoir comment se conclure qu’en usant et abondant des gimmicks chers au cinéaste. Féru de montage, ce dernier s’amuse ainsi jusqu’à l’overdose, non plus à nous perdre mais à nous noyer, avec non plus un sentiment de planant déroutement mais d’empressement facile à ne jamais vouloir s’engager sur une voie claire qu’en s’enfuyant par la même et facile voie de l’astuce temporelle ou nonsensique.
Jamais ainsi auparavant nous ne nous étions laissés prendre au piège d’un seul visionnage d’une œuvre du cinéaste pour laisser aller notre jugement, des œuvres telles que Mandibules et Fumer fait tousser révélant leur acuité au fur et à mesure du temps et des détails. Mais pour Daaaaaali !, l’impression est cependant toute autre, d’un empressement ici délibéré à se réfugier dans ses effets de style pour tenter de s’extraire d’une quelconque véritable vision, qu’un exercice destructuré aussi instantanément plaisant que finalement réellement inabouti. De l’impression d’un artiste qui au lieu de tenter de saisir quelque chose de Dali, n’a finalement réussi qu’à évoquer sa propre impossibilité à le faire.
Daaaaaali ! est actuellement en salles.
Avis
Quentin Dupieux se répète et se perd dans ses gimmicks pour tenter non pas d'évoquer un artiste et sa liberté créatrice mais celle de l'impossibilité de se saisir de l'un, comme l'autre.