Coupures est une comédie satirique qui aborde la place que le public occupe, ou plutôt celle qu’il n’occupe pas, dans le débat démocratique.
Coupures, « c’est un spectacle presque participatif sur l’état de notre presque démocratie. » Un spectacle sur la solitude des citoyens qui subissent des décisions qu’ils ne comprennent pas, des promesses non tenues, des choix qu’ils n’ont pas faits.
« Avez-vous l’impression qu’en votant vous faites la politique de votre pays ? »
Nous sommes une assemblée de citoyens réunis pour que notre voix compte. Et ça fait plaisir que l’on nous demande notre avis, même si aucune vraie décision ne sera malheureusement prise à la fin. Pas par nous en tout cas. L’histoire est celle de Frédéric, un maire écologiste, agriculteur, jeune père de famille engagé, qui est contre le déploiement d’antennes-relais partout dans sa commune… mais qui, pourtant, et sans aucune consultation, a voté « pour ». Pourquoi ? C’est ce que l’on va découvrir.
SOS d’un Terrien en détresse
Le démarrage du spectacle nous prend par surprise pour mieux nous intégrer au « débat » qui va finalement se jouer durant 90 minutes que l’on ne voit pas filer. De nouvelles générations d’antennes-relais destinées à offrir un meilleur réseau, voilà le sujet qui va mobiliser tout le monde. Des antennes qui vont être déployées quoi qu’il arrive, et quoi qu’en pensent les familles agricoles de cette commune rurale. Quoi qu’en pensent aussi le maire et le Conseil municipal d’ailleurs. Mais alors, qui décide ?
En effet, personne ne veut de ces immenses engins qui perturbent les prévisions météo, font chuter la valeur des biens et gâchent la vue. Quant à l’impact sur la santé, on les rassure : « c’est à l’étude »… Sauf qu’il y a tout de même ces alléchantes indemnisations promises aux familles qui les accueilleraient sur leurs exploitations… et qui aideraient grandement la famille de Frédéric à sortir des dettes qui n’en finissent plus de s’accumuler, et à échapper au pire. Ainsi, entre ses convictions et ses besoins, entre ses rêves et la réalité de la situation, entre le bien commun et son intérêt individuel, le maire se trouve face à un cas de conscience, et une décision pas si simple que ça à prendre.
« On est écologistes, c’est notre métier de nous battre pour des causes perdues. »
Et on adore l’intelligence et l’efficacité avec lesquelles le texte et la mise en scène s’allient pour dénoncer et/ou tourner au ridicule certains fonctionnements de notre société, de notre administration, de nos choix sociétaux, de notre démocratie. Toutes ces « coupures » entre les citoyens et leurs élus. Pour autant aucune aspiration moralisatrice en vue, mais bien le souhait d’éclairer les consciences, de souffler sur les braises de la solidarité et de nous faire réfléchir.
Une distribution qui fait des merveilles !
Tous les comédien.ne.s de Coupures s’imposent avec le même talent. Samuel Valensi (en alternance avec Emmanuel Rehbinder), qui signe également le texte, incarne avec une jolie sensibilité un maire (et un père) engagé, idéaliste, un brin rêveur, dont on partage les questionnements et les hésitations. À ses côtés, la détermination et l’aplomb de Luc, son conseiller au patrimoine, nous a scotchés. Excellent Michel Derville (en alternance avec Brontis Jodorowsky) !
Il y a aussi la très belle présence de June Assal qui donne une véritable profondeur à chacun des personnages qu’elle incarne. Et si elle nous captive dans le rôle de la femme de Frédéric, elle nous fait également beaucoup rire lorsqu’elle interprète son assistante un peu « originale » ! Deux rôles opposés entre lesquels la comédienne navigue avec une fluidité déconcertante. Et l’on retiendra ce monologue très touchant dans lequel elle livre le récit d’un rêve riche de sens…
C’est d’ailleurs aussi dans un monologue, percutant et confrontant, du frère de Frédéric à l’attention du couple alors complètement désemparé, que Paul-Eloi Forget (en alternance avec Brice Borg) est venu nous toucher. Et celle que nous avons tout particulièrement adorée, c’est vrai, c’est la charismatique et géniale Valérie Moinet. En effet, ses personnages centralisent une grande partie de l’humour de la pièce et laissent transparaître un tempérament affirmé qui colle à merveille avec la tonalité satirique de l’ensemble.
Une mise en scène « rondement » menée
Il y a beaucoup de jolies trouvailles dans la mise en scène diablement rythmée de Paul-Eloi Forget et Samuel Valensi. Ils parviennent à mettre du rythme, de la cadence, et beaucoup de fluidité, sans pour autant nous offrir un calque des mises en scène à la Michalik ou Melody Mourey (que l’on adore par ailleurs). La compagnie La Poursuite du Bleu a sa patte à elle. Avec une lampe suspendue, deux tabourets et deux panneaux mobiles, ils parviennent à faire exister différents décors avec brio.
Ainsi, de nombreux tableaux s’enchaînent, souvent teintés d’un humour féroce et terriblement réjouissant. En vrac, on retiendra le passage de pièce en pièce (chacune réservant son lot de surprises !) dans la Mairie avant d’atteindre le bon bureau ; les scènes d’ascenseur comme si on y était ; les appels au service clients redirigés de poste en poste avant d’espérer pouvoir avoir le bon interlocuteur ; l’arrivée des huissiers qui embarquent tout sans état d’âme ; ou encore l’émission « La roue de la fortune agricole » qui pousse la satire à son paroxysme.
Très bonne idée aussi (encore une !) que cette présence du violon de Lison Favard (double distribution) qui vient rythmer le temps qui passe et poser des atmosphères dramatiques, inquiétantes, ou drôles comme lorsqu’elle joue la musique d’attente d’un appel téléphonique ou la musique d’ascenseur ! Et puis il y a ce mouvement permanent et très circulaire qui nous est apparu comme l’expression d’un système politique qui tourne en rond, refermé sur lui-même tandis que le débat démocratique permettrait d’ouvrir un chemin, un espoir. En un mot : brillant !
Coupures, écriture et mise en scène Paul-Eloi Forget et Samuel Valensi, avec June Assal, Michel Derville ou Brontis Jodorowsky, Paul-Eloi Forget ou Brice Borg, Valérie Moinet, Samuel Valensi ou Emmanuel Rehbinder, Lison Favard ou Emelyne Chirol, se joue à partir du 25 août 2023, du mardi au samedi à 19h00 & les dimanches à 17h, au Théâtre des Béliers parisiens.
Puis, en tournée dans toute la France.
Avis
Les Petites Coupures est aussi une monnaie locale à destination de commerces engagés, créée dans
le cadre de ce spectacle. Chaque spectateur se voit remettre, avec son billet, un coupon permettant de bénéficier d'une réduction ou d'invendus dans des commerces partenaires indépendants et engagés (produits bio, locaux, en vrac...)