Dans Clamser à Tataouine, paru chez Flammarion le 14 mai 2025, Raphaël Quenard livre un premier roman aussi barré que brutal. Une plongée hallucinée dans la psyché d’un narrateur misanthrope qui assassine à tour de bras, le tout servi dans un français aussi fleuri que facétieux. Une expérience de lecture punk et dérangeante, entre satire sociale et trip nihiliste
Novembre 2024, Tataouine (la vraie, pas celle de Star Wars). Un type paumé débarque sur la côte et s’installe chez Liliane, une octogénaire aussi fracassée que touchante. Il dit vouloir écrire un livre. Spoiler : ce n’est pas un feel-good. Entre deux tisanes, on plonge dans le récit de sa descente aux enfers, amorcée six mois plus tôt à Paris, lorsqu’il décide, calmement, de commencer à tuer des femmes. Une par strate sociale. Voilà, c’est ça Clamser à Tataouine.
« Il y a de ces choses qui vous redonnent le goût de vivre. Ma chose à moi, c’était l’épopée que je me proposais d’accomplir. »
Quenard, côté coulisses
Né à Grenoble en 1991, Raphaël Quenard n’a pas suivi le chemin tout tracé des lettres. Chimiste de formation, assistant parlementaire à ses heures, il bifurque vers le cinéma où sa verve et sa diction sidérante font mouche. Révélé dans Chien de la casse (César du meilleur espoir masculin), il a également cartonné dans Yannick de Quentin Dupieux et il s’impose comme l’un des acteurs les plus singuliers de sa génération. Et maintenant, écrivain. Enfin, façon Quenard.

« Quand on aime les mots, c’est sans distinction de registre. ».
Une langue pas comme les autres
« La discutable dextérité dont j’ai fait montre pour me dépatouiller de mon existence laisse à penser que je suis tout sauf un exemple à suivre. »
Avec cet incipit, le ton est donné. C’est sans doute le vrai personnage du livre : la langue. Une sorte de Quenard amplifié, dopé au dictionnaire et aux tripes. Ça fuse, ça pète, ça invente. L’auteur passe sans transition du mot oublié (anachorète) au verlan déglingué (crari, tchourave). Il triture le langage avec un plaisir contagieux, un peu comme si Céline avait croisé Kery James un soir de beuverie. On lit en entendant sa voix. Son phrasé. Et c’est là que ça prend.
Une narration à la machette
Le récit à la première personne nous plaque contre le mur de la psyché du narrateur. Ça pense cru, ça pense sale, ça pense mal. Et pourtant, il y a une sorte de lucidité absurde dans ce flot de haine. Le gars hait les hommes, puis tout le monde, mais finit par ne tuer que des femmes. Non pas par misogynie assumée, mais par une sorte de logique interne tordue, sinistre.
« C’est l’histoire d’une misandrie qui faisait qu’une misanthropie prenait l’apparence d’une misogynie. »
Le résultat ? Un enchaînement de meurtres ritualisés, chacun représentant une catégorie sociale. Un catalogue des classes par le sang.
« La pulsion est là, elle ne me quittera plus. »
Là où le bât blesse
Le hic, c’est que l’intrigue tourne à vide. Après un démarrage intriguant chez Liliane, où l’on croit à un jeu de piste narratif à la Fight Club, le roman s’enlise. Les meurtres s’accumulent sans réelle montée dramatique. Chaque femme croisée accepte un peu trop vite d’ouvrir sa porte, de donner son numéro, ou de suivre le narrateur en rando. Dans le monde réel, c’est non. Et même dans le roman, ça finit par grincer.
Le personnage, lui, reste figé dans sa haine — aucune évolution, aucun doute. On ne s’attache pas. Ni à lui, ni à ses victimes.
Et la fin, me diras-tu ? Eh bien… elle est là. Fidèle à la ligne du bouquin : abrupte, sans révélation, ni bascule, ni cataclysme final. On sort de Clamser à Tataouine un peu comme on en sort d’une gueule de bois : confus, lessivé, avec l’étrange sensation d’avoir vécu un truc, sans savoir si c’était une fête ou un règlement de compte.
Raphaël Quenard – Clamser à Tataouine, éditions Flammarion, 192 pages, paru le 14 mai 2025.

Avis
Si tu viens chercher un thriller haletant, passe ton chemin. Mais si tu veux lire un OVNI littéraire, qui crache sur les codes et se repaît de sa propre laideur, ce roman est pour toi. À tes risques et périls.