Présenté en Hors Compétition au Festival de Cannes, Ça tourne à Séoul (ou « Cobweb »/Geomijip en coréen, soit « l’Araignée ») n’est ni plus ni moins que le nouveau film de Kim Jee-woon. En effet, le réalisateur culte de A Bittersweet Life et J’ai rencontré le diable retrouve son acteur fétiche Song Kang-ho (Parasite) pour une réjouissante comédie centrée sur le tournage chaotique d’un film dans la Corée des années 70 !
Tout comme Bong Joon-ho et Park Chan-wook, Kim Jee-woon fait partie de ces cinéastes phares de la renaissance du cinéma coréen il y a déjà plus d’une vingtaine d’années. Aussi à l’aise dans le drame (Deux Sœurs) que la comédie (Foul King), Kim a su considérablement s’imposer sur la scène internationale avec le très bon A Bittersweet Life ou encore l’inoubliable (et ultra-violent) J’ai rencontré le Diable !
Mais depuis 2010 un triste constat était de mise : Kim Jee-woon semblait ne s’être jamais remis de cette fulgurante percée, enchaînant au mieux le carré The Age of Shadows, au pire de la commande un tantinet dévitalisée(Illang ou Le Dernier Rempart). Ça tourne à Séoul semble donc être un projet tout à fait adéquat, questionnant Kim en tant que réalisateur !
Ça tourne à Séoul se déroule en Corée dans les années 70, alors en pleine régime totalitaire (les autorités liées à la censure sont légion). Après une séquence onirique en noir & blanc, nous découvrons Kim (ça ne s’invente pas), réalisateur prêt à tout pour fignoler son film « Dans la toile ». Bravant les interdits et la production, ce dernier va user d’un jour de reshoot pour changer profondément son film, et si possible accoucher de son chef-d’œuvre !
Un joyeux programme qui va virer au joyeux bordel (en quasi temps réel à la Coupez!), tandis que Kim devra gérer toute son équipe (rapidement partagée vis-à-vis des ingérences artistiques du réalisateur), tout en empêchant les autorités de mettre un terme au tournage. Un postulat aussi fun que le résultat donc !
Dans une toile d’anarchie
Car oui, Ça tourne à Séoul délivre là où on est venu le chercher ! Bénéficiant d’un montage ciselé et d’une mise en scène ample, Kim Jee-woon semble régulièrement s’amuser (presque autant que sur un Le Bon, la Brute et le Cinglé) en allant toujours plus loin dans le « Kim vs the world » que représente le récit.
Et outre une fabrication léchée (jusque dans son usage du noir & blanc pour imprégner le film d’un certain gothisme intra-diégétique), l’énergie communicative du métrage doit beaucoup à son formidable comédien principal : on ne présente plus Song Kang-ho, immense acteur coréen de The Host, Parasite ou Les Bonnes étoiles, de retour avec le réalisateur l’ayant réellement mis sur le devant de la scène.
Gauche et auto-centré, le personnage de Kim se veut avant tout drôlement attachant de par son pur désir d’expression et de cinéma affranchi de tout dogme. Ainsi, les diverses péripéties rencontrées (jusque dans la séquestration d’autrui, l’usage de drogues ou le recours à des non-acteurs pour combler le manque d’effectifs !) trouvent une résonnance particulière lorsqu’on la met en perspective via un regard tout à fait contemporain.
La beauté dans le chaos
Alors que l’industrie traverse une période de doutes (la politique brinquebalante des majors, en particulier post-Covid), l’entreprise de Kim se révèle particulièrement touchante, alors que Ça tourne à Séoul se veut avant tout porteur d’espoir. En démystifiant un art glorifié (la volonté d’avoir à tout prix un plan-séquence ou une morale finale s’adressant directement au public), le récit rappelle que le cinéma est avant tout l’œuvre chaotique d’un collectif.
Un groupe de passionnés, parfois bras cassés où les histoires off-screen viennent impacter le résultat, mais dont le caractère humain ou névrosé parviennent à livrer de magnifiques accidents, jusque dans les flammes (littérales) d’un enfer lié à la norme ou la censure. En résulte au final un film attendrissant, et même touchant dans son final, précédé d’un des climax les plus chaotiques et maîtrisés de la carrière de Kim Jee-woon.
Car si Ça tourne à Séoul n’est sans doute pas un nouveau sommet pour le réalisateur, c’est dans cette démarche simple, savamment orchestrée et sans prétention que cette satire vise juste. Une jolie réussite donc, qui derrière le rire, laisse passer son message intemporel avec une belle aisance !
Ça tourne à Séoul sort au cinéma le 8 novembre 2023
avis
Avec Ça tourne à Séoul, Kim Jee-woon revient avec une comédie aussi drôle que tendre sur le milieu du cinéma, dans une mise en abyme au message attendu, mais à la réjouissante portée universelle. Et si cela ne suffisait pas, le casting est royal, porté par un Song Kang-ho impérial !